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Le retour des familles acadiennes :
l’établissement des nouvelles Acadies

Alors que le traité de Paris de 1763 met fin aux aspirations de la France sur les terres de l’Amérique du Nord, exception faite des îles Saint-Pierre et Miquelon, pour les Acadiens, il signifie la fin de l’exil forcé et la possibilité de retourner en Nouvelle-Écosse.

Toutefois, ce traité n’a rien d’un acte de générosité de la part des autorités britanniques puisqu’elles exigent des Acadiens des conditions assez sévères. Dans un premier temps, ils doivent prêter le serment d’allégeance inconditionnelle à la couronne britannique et ont, dans un deuxième temps, l’obligation de se disperser en petits groupes.

Malgré les conditions prescrites par les Britanniques, des centaines d’Acadiens choisissent de regagner la Nouvelle-Écosse, pour plusieurs, après plus de dix ans d’exil. À leur arrivée, ils retrouvent plus de 2 500 Acadiens sur le territoire, dont plusieurs familles qui s’étaient cachées dans les bois jusqu’en 1764 et qui avaient réussi à échapper au périlleux voyage.

Toutefois, les Acadiens rentrés en Nouvelle-Écosse ne peuvent regagner leurs anciennes terres, désormais occupées par les Britanniques. Ils doivent donc trouver de nouveaux sites où reconstruire leurs villages, ou accepter les emplacements que leur propose le gouvernement. De plus, avant les années 1770, aucun Acadien ne peut devenir propriétaire terrien: il est soit squatter, détenteur d’un bail ou tenancier. Si les Acadiens de la baie Sainte-Marie, de Pomcoup et de Chedaïc obtiennent rapidement des concessions de terres, la majorité devra prendre son mal en patience et attendre que le gouvernement daigne lui accorder l’espace défriché, tout en espérant qu’aucun Anglais ne viendra réclamer le même lopin de terre.

En Nouvelle-Écosse, plusieurs familles acadiennes à la recherche d’un minimum de sécurité vont s’établir dans les régions de Chezzetcook, à la baie Sainte-Marie, à Pubnico, à l’île Madame ainsi qu’à Chéticamp au Cap-Breton. Ainsi, en 1768, la Nouvelle-Écosse compte 68 sujets britanniques et plus de 200 Acadiens et Acadiennes.

D’autres Acadiens choisissent quant à eux de s’isoler, s’éloignant ainsi de la Nouvelle-Écosse et des autorités anglaises, et trouvent résidence à l’île Saint-Jean, surtout dans les régions de Malpèque et de Rustico. L’île Saint-Jean acquiert un statut de colonie distincte en 1769; elle est rebaptisée Île-du-Prince-Édouard trente ans plus tard, en 1799.

Certaines familles, pour leur part, choisissent de monter plus au nord et s’installent dans l’actuel Nouveau-Brunswick, fondé en 1784. Les régions qu’ils privilégient sont celles de la baie des Chaleurs, de la Péninsule acadienne, du Madawaska et de la vallée de Memramcook. L’accès à la mer ou à un cours d’eau navigable est, là aussi, un facteur primordial dans le choix des premiers lieux de colonisation.

Alors que près de 36% des Acadiens (8 400) sont installés dans les Maritimes à la fin du 18e siècle, d’autres choisissent plutôt de vivre au Québec, aux États-Unis, en France et ailleurs dans le monde.

Enfoncer de solides racines dans les terres de l’Acadie

Nouvelle Acadie? Deuxième Acadie? Son appellation importe moins que sa mise en place graduelle, dans des conditions souvent pénibles mais auxquelles ont réussi à faire face les Acadiens entre les années 1763 et 1850.

Durant cette période, les Acadiens sont sans structures officielles, victimes de ségrégation puisque privés de recours juridiques, d’accès à l’éducation et de représentation politique. Cette situation perdure jusqu’aux premières décennies du 19e siècle. Entre-temps cependant, en plus d’avoir à vivre éparpiller dans des communautés éloignées, les Acadiens doivent apprendre à s’adapter aux autorités coloniales anglaises, à la mer de Loyalistes qui cherche à les engloutir dès 1770, ainsi qu’à l’encadrement spirituel des missionnaires envoyés de Québec. C’est par leur capacité d’adaptation qu’ils réussiront à établir des fondations solides sur quoi bâtir la nouvelle Acadie.

L’Acadie de la survivance

Sauf de rares exceptions, l’agriculture représente l’activité économique vitale à la subsistance des familles acadiennes du 18e siècle. En effet, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard par exemple, bon nombre d’Acadiens s’adonnent presque exclusivement à l’agriculture. Au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse toutefois, puisque la terre est plutôt pauvre, l’agriculture cède la place à la pêche comme activité de subsistance. Même dans les endroits où elle est à la base de l’économie, l’agriculture demeure toutefois primitive puisque les fermiers acadiens ne connaissent pas encore les méthodes qui favorisent le maintien de la fertilité du sol.

La pêche, et plus particulièrement la pêche à la morue, sert de complément à l’agriculture dans les régions côtières, ce qui permet aux Acadiens de s’assurer une certaine autonomie. Toutefois, ce sont les entrepreneurs anglais et anglo-normands qui contrôlent les compagnies et détiennent le monopole de l’équipement et de l’approvisionnement en marchandises, les Acadiens ne constituant pour eux qu’une main-d’oeuvre locale à bon marché. Le travail des Acadiennes est d’ailleurs vital à l’industrie des pêches, si bien que même des fillettes de dix ans sont employées dans les usines de poisson où elles effectuent le travail de salaison, de séchage ainsi que d’apprêtage de la morue avant l’exportation.

Source de diversité économique, se développe à l’initiative des Britanniques un commerce transatlantique qui sera particulièrement bénéfique au sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, puisqu’il a des répercussions significatives sur l’industrie forestière et sur la construction navale. Ainsi, dans la région de Pubnico par exemple, la construction de bateaux, la pêche et le cabotage constituent les piliers de la survivance acadienne.

Renaître: s’établir, survivre puis s’unir

Ayant survécu aux premières décennies qui ont suivi leur réinstallation en Acadie, la détermination du peuple acadien lui permettra bientôt de réclamer un contrôle accru dans la direction de ses propres affaires. Ce processus de reconstruction se fait de façon progressive, trop lentement aux yeux de certains observateurs tels que Mgr Joseph-Octave Plessis, qui soutient que l’Acadien vit souvent dans la pauvreté, dans de petites maisons négligées, qu’il manque de vivres, a peu d’animaux, de foin et de grains. Malgré la précarité de leur situation, plusieurs Acadiens vont toutefois se démarquer dans le troisième quart du 18e siècle et se verront prendre la tête d’un mouvement qui aura d’importantes retombées pour l’Acadie du 19e siècle.

En effet, un groupe d’Acadiens décide de former un gouvernement parallèle dès la fin des années 1780. Chacun des membres de ce groupe, auquel on associe les noms d’Amable Doucet, de Joseph Gueguen et d’ Otho Robichaud, tente à sa façon de défendre les droits des Acadiens en assumant, par exemple, des fonctions publiques et religieuses. Souvent propriétaires de petites entreprises, ces têtes d’affiche acadiennes ont des revenus bien modestes si on les compare à leurs concitoyens britanniques, mais ils sauront bénéficier d’une reconnaissance au sein de la communauté acadienne en plus de maintenir des bonnes relations avec leurs concitoyens anglophones, premiers pas vers l’avancement et vers la renaissance de l’Acadie.

Devant cet avenir incertain, les Acadiens ont le choix de rester en eau trouble et risquer de se laisser engloutir ou de faire face à la tempête et s’affirmer en tant que groupe. Ne contrôlant alors aucun des leviers de développement économique, étant à la merci d’entrepreneurs européens, les Acadiens devront en effet arriver à provoquer de grands changements dans les structures politiques et économiques pour pouvoir obtenir leur mot à dire au sein de cette société qui se voulait jusqu’à lors essentiellement britannique et britannisante.