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L'Acadie se prend en main

Après avoir survécu à l’épreuve de l’errance, suite à une réinstallation qui ne se fait pas sans poser problème, les Acadiens peuvent maintenant passer à une véritable restructuration de l’Acadie, territoire qui ne subsiste que dans les esprits.

Au processus de reconstruction de ce qui fut appelé la Nouvelle Acadie viennent s’ajouter d’importants changements structurels mis en oeuvre à partir de 1860 et qui modifient la donne autant sur le plan économique que politique. Par ailleurs, les premiers leaders acadiens avancent des moyens de prendre en charge de la destinée acadienne.

La création d’instruments culturels a joué un rôle crucial dans cette prise en charge, permettant à l’élite d’exprimer la conscience collective acadienne. En effet, la fondation d’écoles catholiques françaises et des établissements d’enseignement supérieur acadiens ainsi que la mise en place des premiers journaux de langue française sont représentatives de la vague de nationalisme acadien qui balaie graduellement les Maritimes.

Au début des années 1880, les leaders acadiens vont se sentir suffisamment forts pour procéder à l’élaboration d’un programme d’ensemble. Les représentants de l’élite acadienne, sortis en majorité du collège Saint-Joseph, ont déjà à ce moment une influence sur la population, et le Moniteur acadien, journal mis en place à Shédiac (N.-B.) en 1867, est la courroie de transmission des visions de cette élite. S’il est moins militant que l’Évangéline, fondée à Digby (N.-É.) en 1887, le Moniteur acadien constitue lui aussi un outil primordial, puisque les journaux vont permettre aux Acadiens de réfléchir collectivement, de se rapprocher en tant que groupe et d’échanger sur les grandes préoccupations telles que l’agriculture, la colonisation, l’éducation et le rôle de l’Église.

Cette période est aussi celle de la mise en oeuvre des grandes conventions acadiennes, où se rendent dès 1881 une centaine de leaders acadiens des trois des provinces Maritimes en plus de milliers d’Acadiens présents aux assises mais qui ne participent pas aux débats. Ils sont rassemblés pour discuter des problématiques qui sont les leurs. Par ailleurs, ces grands regroupements vont permettre à l’élite de décider conjointement de la direction à prendre pour l’avenir, de former des comités permanents et d’établir l’identité distincte des Acadiens à travers le choix des symboles comme le drapeau, l’hymne national et la fête nationale.

Si les transformations sur le plan social semblent aller bon train en Acadie, il demeure certains domaines où les avancements se font plus lentement. L’éducation en langue française est un de ces domaines qui donnera lieu à de nombreuses luttes, s’étendant bien au-delà la période étudiée. En effet, dès 1875, le gouvernement du Nouveau-Brunswick veut imposer un réseau d'écoles publiques non confessionnelles, financé par une taxe imposée à tous. Les Acadiens, pour qui les congrégations religieuses assurent la majeure partie de l’enseignement, protestent et demandent un réseau séparé d'écoles catholiques. La loi est adoptée par la majorité protestante anglaise. Les tensions montent entre les deux groupes et le gouvernement envoie la milice à Caraquet en 1875 pour restaurer le calme. Ce geste coûte la vie à un jeune Acadien de 19 ans, Louis Mailloux, et à un milicien. Le gouvernement propose par la suite un compromis qui sera accepté par les Acadiens, qui voient accordé à leurs professeurs le port des vêtements religieux en salle de classe et l’enseignement religieux en dehors des heures de classe.

Les congrégations religieuses continuent en effet de jouer un rôle important dans la société acadienne. Elles sont à l’origine de la formation des premiers leaders puisque ce sont elles qui mettent en oeuvre des établissements d’enseignement supérieurs à partir des années 1860, dont le collège Saint-Joseph (N.-B.) pour l’éducation des garçons et les couvents de Caraquet (N.-B.) et de Miscouche (Î.-P.-E.), pour l’éducation des filles, tous trois fondés en 1864. Par ailleurs, elles dirigent aussi les premiers hôpitaux, dont celui de Saint-Basile (N.-B.), de Tracadie (N.-B.) et de Campbellton (N.-B.).

Transformations majeures en Acadie? Il faut plutôt examiner les changements qui s’effectuent dans l’ensemble du Canada pour cerner l’évolution de l’Acadie à partir de la Confédération. Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse s’associant au Québec et à l’Ontario dans le grand projet de « confédération canadienne » établie en 1867, les conséquences seront nombreuses pour les deux provinces où résident la plupart des Acadiens. Sur le plan économique par exemple, les développements en Acadie se font parallèlement aux nouvelles réalités que sont la création d’un marché interne est-ouest au pays, la construction des chemins de fer ainsi que l’industrialisation et l’urbanisation.

Durant cette période d’ailleurs, le secteur manufacturier va connaître une expansion particulièrement rapide dans les Maritimes, causée principalement par la création de petites entreprises locales de transformation du textile, du cuir et du bois. À cet essor s’associe une concentration de plus en plus marquée des habitants dans les villes. Des changements importants viennent toutefois modifier le visage de l’économie des Maritimes à partir de 1880. En effet, les échanges qui se font surtout avec les États-Unis se déplacent dans la direction est-ouest du pays, suite à la construction de chemins de fer et à l’imposition d’une protection tarifaire dans le secteur manufacturier. Si ces transformations profitent aux Acadiens dans un premier temps, à long terme ils les désavantagent en raison de la centralisation des marchés qui va entraîner le ralentissement de la croissance et de la diversité du secteur manufacturier, en plus de marginaliser le secteur primaire, base de l’économie des Maritimes. C’est donc en célébrant de nombreux accomplissements que l’Acadie entre dans le 20e siècle. Toutefois, de nombreux défis se dressent aussi devant les communautés acadiennes en pleine effervescence.