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     Quelques-uns des mots que je produis se trouvent, il est vrai, à l'Académie; mais ils y sont avec un sens différent de celui que nous leur donnons; gabion, par exemple, qui est un terme de guerre là-bas et de chasse ici. D'autres étendent, en Acadie, la signification qu'ils ont au Dictionnaire officiel: démarrer, lances, entre autres. Je les donne, parce qu'une extension de sens équivaut à un mot nouveau. Par abriter, l'on entend confusément, en France, ce que nous désignons avec précision par abrier et abriquer. La précision c'est la propriété d'un terme. Des mots irrévocablement perdus, au pays de nos aïeux, pour n'avoir pas été recueillis dans les écritures et pour avoir été oubliés par le peuple, got, par exemple, avec ses nombreux dérivés, entrent de plein pied dans le Glossaire acadien. Enfin il y a les mots, peu nombreux, que nous avons créés pour désigner les fonctions suivantes: sévêrer, assouer.
     Tous ces vocables, sauf les derniers, appartiennent, par droit de naissance, à la langue française. Ils sont de hairage, comme nous disons. Le Dictionnaire de l'Académie ne les a pas reconnus: tant pis pour le dictionnaire de l'Académie! Ils ont été mis de côté, pour la plupart, à cause de leur origine plébienne. Dans le temps où ils furent rejetés, le peuple était considéré moins que rien, et les mots dont il se servait étaient reputés «bas».
     Aujourd'hui le peuple monte avec la démocratie; il règne; il gouverne. Avec le Paysan du Danube, il franchit l'enceinte où les perruques poudrées avaient seules le droit de prendre place. Nos pères étaient du peuple; nous sommes le Paysan du Danube qui réclame ses droits.
     Mais pour réclamer utilement ses droits, il faut en montrer la légitimité. Si nous voulons réhabiliter nos termes acadiens, afin qu'on ne dise plus que c'est un patois que nous parlons, il n'est pas seulement nécessaire qu'ils se rattachent à la langue-mère, il faut le prouver. C'est ce que j'ai entrepris de faire.
     Ce que je propose, ce que je me permets de demander, c'est que l'on lise attentivement la liste de mots et de locutions que je fournis; que l'on supplée aux sens que je leur donne, lorsqu'il y a lieu; qu'on corrige mes définitions et qu'on complète ma liste. De cette façon, le Glossaire sera définitif, ayant été fait en collaboration.
     Je prie mes collaborateurs d'attendre, pour me communiquer leurs observations, que tous les mots commençant par une lettre de l'alphabet, A, par exemple, aient été épuisée. Les lettres pourront m'être adressées au Sénat, Ottawa.

Pascal Poirier


À Shédiac, N.-B.
le 15 août 1927




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.