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ABRIER
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ABRIQUER

   Diez donne à abri un radical allemand, bargen, qui signifie mettre à couvert. Le Héricher le fait venir de aber, havre, parce que les pêcheurs mettent leurs embarcations à l'abric dans une rade.
   Tout porte à croire que le collage d'un c final au mot abri remonte très haut dans la langue parlée, quoiqu'on ne le trouve qu'assez rarement dans les écritures. En tout cas, il appartient au roman, forme primitive de notre idiome: «À l'abric lonc la pastura», À l'abri le long du pâturage. (MARCA-[BRUN], Emperaire).

   ABRIER. Le français moderne a abriter. Il a aussi abrier, mais c'est un terme de marine. Les Acadiens n'ont pas abriter; en revanche, ils ont abrier et abriquer.
   Abrier, abriquer et abriter sont apparemment trois formes verbales sorties du substantif abri et épelées, comme nous l'avons vu, de trois manières différentes. Abri a donné le verbe abri-y-er; abric, abriquer et abri ou abrit, abri-t-er, les y, le qu (pour c ou k) et le t servant de tampon pour amortir dans chacun de ces mots le choc de deux voyelles, autrement dit l'hiatus.
   Le verbe abrier, s'abrier conserve en Acadie le sens qu'il a eu en France jusqu'au commencement du XVIIe siècle, celui de se couvrir, de s'emmitoufler. On s'abrie avec une couverture quand on est couché dans un lit, avec une robe de fourrure quand on est en carriole et qu'il fait froid. Abrie-toi comme il faut, se dit pour: tiens-toi bien chaudement. À toutes les périodes de l'ancienne langue, on trouve ce mot avec la signification de se couvrir pour se protéger du froid, de la pluie, de la neige: «Elle ot d'une chappe fourrée / Moult bien, si com je me records, (souviens); / Abrié et vestu son cors». (Roman de la Rose); «Je luy dis qu'il n'oubliast de rejecter ma robe sur mon lict, en manière qu'elle les abriast tous deux». (MONTAIGNE); «Était-ce pas s'abrier pour
dormir plus à son aise?» (Idem); «Abrier, to cover, shroud, shelter, shadow». (COTGRAVE); «S'il advint que, quand ilz furent au disner, l'enfant mourut, et disait-l'en que il avait esté trop couvert et abrié de grans chaleurs». (Rapporté par Godefroy); «Les assiégés sans beaucoup de peine abrièrent rouage de fascines». ([D']AUBIGNÉ, Hist[oire] universelle [depuis 1550 jusqu'en 1601], t. III, liv. II, chap. XXX); «Elle l'abrias et puis eschauffa». (LA TOUR).
   Ce mot manque à la langue; pourquoi en a-t-il été rejeté? Demandez-le à ceux qui ont fait le premier Dictionnaire de l'Académie, ce Doomsday Book de la langue française.
   Abrier appartient à la langue romane et lui a, apparemment, toujours appartenu. C'est du roman que nous le tenons: «Mantelh qui aital n'abria». Manteau qui un tel abria. (RAIMON DE MIRAVAL, [Poésies], «Damorson»).
   Le sens de ce verbe s'est quelque peu étendu, en Acadie. Nous disons: abrier les patates, pour les couvrir de terre, les renchausser. Un habitant canadien dira: abrier les jardinages pour couvrir les plantes d'un binage. Nous abrions le feu avec de la cendre, le soir. On abrie un malfecteur pour le sauver des mains de la justice. Au figuré, signifie pallier une faute: abrier un ami.
   Désabrier et se désabrier sont le contraire de abrier et de s'abrier.

   ABRIQUER. Se mettre à l'abri. Forme verbale du substantif abric ou abrique.
   On s'abrique contre le vent, la pluie, la grêle derrière une grange, sous un parapluie: Entre t'abriquer contre l'orage.
   L'espagnol et le portugais ont abrigar (le c se muant en g) avec le même sens. Le basque a abriga, qu'il a emprunté à ses voisins, et le roman, abricar.
   Quoique abrier et abriquer aient été formés, l'un sur abri, l'autre sur abric,




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.