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ABSENTER
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ACADIE

variations du même substantif, la signification de ces deux verbes n'est pas la même (voir abrier). Ce phénomène de sémantisme se retrouve dans un grand nombre de doublets tirés d'un même primitif: charger, carguer; attacher, attaquer; chétif, captif; potion, poison, etc.

   ABSENTER. S'éloigner, se retirer. Le sens que nous donnons à ce mot et qu'il avait dans la vieille langue est plus étendu que celui qu'il a chez les Académiciens. À propos de ce mot, le Père André D. Cormier, le grand patriote acadien, raconte l'anecdote suivante. Les Acadiens sont peu jurifs; il faut pourtant qu'ils se déchargent la conscience quand la colère est trop forte. Un bon père de famille, le sien peut-être, avait été poussé à bout de patience. Il allait éclater: «Marie, dit-il à sa femme, absentez-vous avec les enfants; je vais jurer». Marie fait sortir les enfants, tremblant de peur: «Poche!» fit-il. «Rentrez, maintenant, j'ai juré».
   Absent s'est dit, en vieux français, pour éloigné et s'absenter pour s'éloigner: «L'on envoya ces nouvaulx mariez voir leur oncle, pour les absenter de leurs femmes». (RABELAIS).

   ACADIE. Les origines que l'on donne à ce nom sont plutôt conjecturales. La première mention du mot se trouve dans Verrazzano (1524) qui, parlant du territoire couvert aujourd'hui par le Massachusetts, l'appelle Arcadie. Arcadie, c'est du grec — la Renaissance était, à cette époque, en pleine floraison — transporté en terre d'Amérique.
   Les cartographes emboîtèrent le pas. Gastaldo [Giacomo] en 1548, Zaltieri en 1566, et Champlain (Traité des Sauvages) en 1603, dénommèrent Arcadie la région comprise aujourd'hui par la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, bien au nord de Boston. Ces trois autorités se réduisent à une seule: Verrazzano. Ils se copient les uns les autres. Des historiens sérieux, M. W. F. Ganong (Mémoires de la
Soc[iété] royale du Canada, 1917), entre autres n'hésitent pas à faire venir Acadie d'Arcadie.
   Mais voici ce qui complique cette étymologie. L'acte de concession du territoire compris aujourd'hui par le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et une partie du Maine, octroyé à de Monts en 1603, donne à cette région le nom de Cadie. Il fallait de sérieuses raisons pour que le gouvernement de France substituât de science certaine le nom de Cadie à celui d'Acadie ou d'Arcadie. Je n'en vois pas d'autre que celle-ci: Cadie est le nom primitif du territoire pris aux indigènes et concédé à de Monts.
   Cadie, Cady ou Cadic, le c final tombant, comme il est tombé dans un grand nombre d'autres noms géographiques d'origine algonquine: Matapédiac, Caspédiac, etc., devenus Matapédia, Caspédia, semble avoir été un mot indigène signifiant fertile en quelque chose, chasse ou pêche.
   L'idée de pays, tel que nous le concevons aujourd'hui, n'existait pas pour les Sauvages d'Amérique. La localité constituait le pays, et le nom qu'on lui donnait était emprunté à quelque caractéristique physique ou à ce qu'il fournissait de plus important au point de vue alimentaire.
   Lorsque Verrazzano aborda aux rivages du Massachusetts, les premiers indigènes qu'il rencontra furent des Algonquins. Comme Cartier, il s'enquit, sans doute, du nom de la localité et les indigènes le lui dirent en le faisant précéder du mot Cadi ou Cadie.
   Pour Verrazzano, Cadi, la Cadie, c'était l'Arcadie, nom poétique fleurant la Grèce antique, toute à la mode, en ce temps-là à la cour de François 1er. Ce qui prouve que le mot Cadie ou Cadic était d'une grande fréquence comme désignation de lieu chez les Malécites, Souriquois, Micmacs et autres tribus algonquines établies le long du littoral qui s'étend du Massachusetts au Cap-Breton, c'est qu'on le retrouve encore aujourd'hui dans Passamaquoddy, Subénacadie, Menoudie, Tracadie, etc. On pourrait




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.