page



AVOCASSER
- 51 -
AVOIR

mot, ils l'ont apporté de France. Verrier et Onillon, (Glossaire [des patois et des parlers] de l'Anjou) l'ont trouvé dans un inventaire: l'inventaire Brodeau, 1745: «Item, les deux tiers dans un pressoir à deux avisses de bois».

   AVOCASSER. C'est un mot déchu. Dans la langue officielle l'Académie l'enregistre, mais déclare qu'il est «familier» et lui donne le sens de «plaider sans dignité». Il s'entend, ici et au Canada, en bonne part, tout ainsi qu'il s'entendait dans l'ancienne langue. Celui qui avocasse une cause le fait avec autant de dignité que celui qui la plaide. «Comment Dieu advocacera, jugera et accusera les pécheurs au jour du Jugement», est le titre d'une poésie d'Eustache Deschamps (vol. II, p. 241 et 292). «Les loix deffendent que les femmes ne advocacient». (ORESME, [Livre de] politique).
   Avocacier, en vieux français, c'était faire fonction d'avocat.

   AVOINE. Manger de l'avoine, c'est, pour un prétendant, recevoir la pelle, être éconduit par sa belle.

   AVOIR. Nous prononçons aouère ou awère.
   Se conjugue régulièrement sur l'infinitif, donnant ainsi au futur, j'arai au lieu de j'aurai.
   Cette conjugaison se retrouve fréquemment chez les écrivains d'empremier: «Hélas! Je voys bien que j'en arai (des enfants) autant que vous». (BRANTÔME); «Vos en arais (aurez) molt riche guéredon, / Et vos airmes (âmes) en aront mantion / Avokes lui enz ciel». (Girart de Vienne); «Qu'il avra». (Roan de la Rose); «Si l'arderai en icel feu, / Et tuit li autre en aront preu (profit)». (Du Vilain Mire, [Fabliaux]); «L'aultre dit: Vous ne l'arès pas». COQUILLART, (Enqueste [d'entre la Simple et la Rusée]); «Nan (on) ara». (1ère Conférence. «Chele fut de Pepin qui l'empire tenoit / A qui li
angres dist que un enfant arait». (Légende de Pepin le Bref); «Mais touz temps aront guerre». (DESCHAMPS, [Poèmes], «15 Ballades»); «L'onneur que conquise ara». ([Le Livre des] 100 ballades); «Robin m'aime, / Robin m'a; / Robin m'a demandé si m'ara». (Jeu de Robin et Marion par Adam de la Halle, XIIIe siècle); «N'arai jamais en mon coeur joie»; (Les Trois Morts et les trois vifs).
   Dans La Fille du comte de Pontieu le futur de avoir est ara et celui de savoir est sara. Bèze disait que j'aurai avait été introduit par une ignorance manifeste.
   Le passé défini fait éu, et, chez quelques-uns, évu, en Acadie, deux syllabes. Ceci, encore, c'est de l'ancien français et du meilleur: «Avant... que jou éusse laissié franchise pour la vie». (Histoire de Jules César, par Jehan [de] Tuim); «Pur le grant délit qu'il avoit éu». (MAUR[ICE] DE SULLY, Sermons); «Li dus errant li demande / Comment c'est maus li est venu. / Et que ce est qu'ele a éu». (La Chastelaine de Vergi); «Quel joie i avez puis éu?» (CLIGÉS); «Desbiens qu'ils ont amassez. Ont-il toute leur part éne?» (Roman de la Rose); «Quantité de dames disent: Jay é-u pour jay eu». (FRANÇOIS DE CALLIÈRES, Des mots à la mode). — «Selon ce ke forfet éust.» (Dolopathos). — «J'ai la rume éhue,» (Roman de Renart).
   La prononciation é-u, en deux syllabes, est la règle générale.
   Il n'y a pas seulement le verbe avoir dont le prétérit faisait é-u, deux syllabes, dans l'ancienne langue, il y avait aussi croître, paraître, connaître, etc. qui faisaient au participe passé creu, pareu, conneu.
   Le subjonctif, que j'aye, que tu ayes, qu'il aye, fournit deux pieds métriques, ay-e, comme dans l'ancienne langue et,
l'on peut dire, comme au siècle de Louis XIV... «Ils ne vous ôtent rien, ne m'ôtant à vos yeux / Dont ils n'aient pris soin de réparer la perte». (MOLIÈRE, Psyché, II, I).




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.