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BÂILLE
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BAILLER

   Les Canadiens ont conservé ce mot dans les noms propres de Baillargé, [Baillargeon].
   On trouve dans les anciens auteurs: ballarge, bailliare, baillak.
   La science des étymologistes s'est exercée sur la provenance de ce vocable: «Peut-être dérive-t-il de baillorge, orge de bail, de redevance», nous dit Jaubert. Cela vaut ce que cela vaut. D'autres le tirent des îles Baléares, ce qui n'est guère sérieux.
   Les étymologistes pourraient, peut-être, se tourner avec profit du côté de l'anglais qui a barley pour synonyme de baillarge et d'orge. On a même prétendu que barn (grange), n'est qu'une corruption du radical saxon berern (grenier à baillarge).
   Quoi qu'il en soit, c'est avec de la baillarge perlée que les Acadiens font une de leurs meilleures soupes.

   BÂILLE. Cuve. Nous n'employons que le mot bâille en Acadie; cuve y est totalement inconnu. D'où vient le mot?
   On trouve bâille dans l'ancienne langue, mais avec le sens d'enclos entouré de palissade. Ce n'est évidemment pas la bâille des Acadiens ni des Angevins.
   «On leur ouvrit la baille». (FROISSART). Ici baille se prend pour barrière ou porte et dérive, à ce que l'on prétend, de bajulus.
   Notre bâille et l'anglais pail sont vraisemblement apparentés, se réclamant l'un et l'autre d'un radical scandinave ou celtique. Ce qui justifie ce rapprochement, c'est que bâille se dit aussi pour baquet en Anjou.
   Les Normands disent bar pour bâille, cuve. R et i se transmutent souvent dans la langue.
   On trouve baaillie pour cuve en vieux français; c'est notre terme même.
   Baille est à l'Académie, mais c'est un terme de marine, un baquet quelconque.
   Le mot baille-blé, aussi appelé babillard, est en usage aujourd'hui en
France, où il signifie un cylindre placé au collet d'une trémie dans un moulin.

   BÂILLÉE. Contenu d'une bâille aux Îles-Madeleine.

   BAILLER. V. [forme] a[ctive] Donner. Ce mot est certainement très français puisqu'on le trouve dans tous les dictionnaires, celui de l'Académie compris. Il remonte même au commencement de la langue. Cela n'empêche pas qu'il soit aujourd'hui, presque à toutes fins, remplacé par donner et ses équivalents. Il n'a rien perdu chez les Acadiens, ni de sa signification première, ni de sa jeunesse. Nous baillons la main sur la goule d'un gars s'il est malpoli; nous lui baillons à dîner s'il est gentil. Les parents, suivant en cela une coutume qui remonte bien haut dans le cours des âges, baillent le fouet aux enfants désobéissants.
   Ce terme était élégant en France au commencement du Grand Siècle, et Malherbe le préférait à donner, malgré Vaugelas qui le déclarait vieux. Pour être vieux, on ne le trouvait pas moins sous la plume des meilleurs auteurs, de Froissart, par exemple, qui écrivait: «Ils baillèrent au roi Dom Piète aucunes lettres que le roi d'Angleterre leur envoyait»; de Brantôme: «Il fallait que le roy lui baillast congé pour s'en aller en son pays»; de Ronsard: «Et Rhée à rède en présent le bailla». (La Franciade); d'Aubigné: «Soleil, baille ton char au jeune Phaeton» ([Les Tragiques], «Vengeances»); d'Oresme (Éthiques): «Une science qui est forte de soy ne peut pas estre baillée en termes légiers à entendre»; de Henri Estienne (Pédagogie): «Les déclinaisons des verbes que doibvent scavoir par coeur les enfants auxquels on veult bailler entrée au latin»; de Lescarbot, notre Lescarbot: «Le capitaine lui bailla les petits braceletz d'étain argentelz»; de Racan ([Les] Bergeries): «Ils lisent les premières les lettres qu'on lui baille»; de Mon-




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.