page



BARBUE
- 58 -
BARGE

tillant. C'est sans doute de barbot que vient le mot barboter. Le barbeau de France (cyprinus barbus) n'est pas le barbeau dont il est ici question. Celui-là est de moyenne taille et comestible; le nôtre est tout petit et sert, tout au plus, à abouetter l'aim de ceux qui pêchent le bar à la ligne.

   BARBUE. Notre morue barbue est ce que les Anglais appellent hake, ainsi nommée parce qu'elle a deux barbes pendantes. Le mot s'emploie aussi substantivement: faire la pêche à la barbue.
   C'est peut-être le barbus fluviatilus d'Agassiz.

   BARDEAU. Il lui manque un bardeau, signifie aux Îles-Madeleine être détraqué.

   BARDOCHER. Couvrir un toit ou une face d'édifice de bardeaux. La finale ch sert à éviter l'hiatus. Le mot est aussi épelé bardot, d'où le verbe bardoter chez les Canadiens.
   Bardoter est plus élégant que bardocher; et barder, couvrir de bardes, de l'ancien français, vaut mieux encore. Bardeau a donné bardocher en Acadie comme harnais a donné harnacher en France.
   La formation des verbes, calqués sur un substantif terminé par une voyelle, est très capricieuse en français. C'est ainsi que pinceau a fait pinceauter; et planche (r), planchéier.

   BARGE. Embarcation de pêche à deux mâts, avec quille et beaupré, plus grande qu'un bateau de pêche ordinaire et moins grande qu'une goélette.
   Il est malaisé d'expliquer pourquoi l'Académie néglige ce mot, que connaissent tous les pêcheurs de France aussi bien que ceux d'Acadie et du Canada. On le trouve, au surplus, dans la plupart des vieux auteurs: «Eschiez e barges et galies et nefs». ([Chanson de] Roland, v. 2625); «Macabrés me taut (prend) tout, et mes nés (nefs) et mes barges». (Elie de S[aint]-Gilles, v. 1876); «Lors un povre chevalier
arriva en une barge». (JOINVILLE); «Charibdis comme avide et gloute. Les barges deveure et transglonte». (OVIDE, Mss); «Un serjant se lait carrer contre val (en bas) de la nef en la barge». (VILLEHARDOUIN); «Ils envoyèrent par barges et par bateaux tout leur avoir et tout leur gain». (FROISSART); «Navibus magnis quas nostrates bargas vocant». (HINCMAR, Annales [de saint Bertin]); «Les nés (nefs), les barges en la mer contre vol». (Les Narbonnais, v. 3374). On trouve le mot dans Du Cange, dans [le] Trévoux, etc.
   Barge était aussi le nom d'un poisson en vieux français.
   Nos terriens ont aussi leur barge qui est une meule de foin ou de paille. La vieille langue avait barche pour meule de foin. L'on dit encore aujourd'hui abarger, pour mettre du foin en barge en Anjou. Nous disons embarger. Les Angevins disent une barge ou barche de bois.
   Il faudrait Ménage pour expliquer par quelle opération analogique la barge des pêcheurs, gros bateau de pêche, s'est transformée sur terre, en une grosse meule de foin ou de grain. D'ailleurs, il enregistre les deux significations: «Barge, dit-il, amas de blé»; et plus loin: «Barge, sorte de bateau. De berca». Va pour berca! Mais d'où vient le mot? Quoiqu'on le retrace jusque chez les Grecs, nos gens (et, j'entends par là les Français aussi bien) l'ont apparemment pris des Normands primitifs qui le tenaient des Scandinaves. Il est de la même famille que barque, bark en anglais, barc en celtique, le c s'étant mué en g, comme il est arrivé pour un grand nombre de vocables français et surtout franco-normands. Que le grec ait baris, cela ne fait rien à la chose; les pêcheurs de Saint-Malo et de La Rochelle n'ont jamais frayé avec ceux d'Athènes et de Lacédémone.
   De l'Académie, dernière édition: «Berge est aussi le nom d'une espèce de chaloupe étroite, dont on se sert sur quelques rivières».
   Berge signifiant bord escarpé d'une




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.