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CHANGEOTTER
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CHANTIER

de thé, donne-moi du café pour un change.
   Se dit aussi pour échange: Tu as un bon cheval, j'ai une bonne paire de boeufs — je ferai un change avec toi si tu veux; J'ai fait un change avec lui. Le mot s'est dit en vieux français dans ce sens: témoin ces vers de Racan (Épigramme à Mme Desloges): «Pour moy, comme une humble brebis, / Je vais où mon pasteur me range, / Et n'ai jamais aimé le change / Que des femmes et des habits».
   Malherbe écrit: «C'est elle (la lune), et non pas lui, qui fait sentir au monde le change des saisons».
   Le change des habits nous conduit à une autre signification que nous donnons à ce mot, celui de sous-vêtement ou rechange: mettre un change de flanelle l'hiver, de toile légère l'été.
   Ce sens remonte très haut dans l'histoire sémantique des mots de notre langue: change en très vieux français s'est dit pour chemise, alors qu'on n'en portait qu'une.
   Les poètes donnent à ce mot des nuances que nous saisissons bien: «Il jurera aussi secondement / Qu'en un seul lieu aymera fermement, / Sans point quérir, ou désirer de change». (ORLÉANS); «Et s'il est vrai que nous soyez d'accord / Par un change honteux de l'arrêt de ma mort». (CORNEILLE, Androm[ède], IV, 3).
   Nous disons aussi, pour l'avoir pris de l'anglais: Je veux du change pour une piastre. Change, ici, c'est ce qu'en France on appelle la monnaie d'une pièce. De change, pris dans le sens, a été formé le mot changeur.

   CHANGEOTTER. Fréquentatif de changer; changer souvent.

   CHANGER (Se). Changer d'habillements, de sous-vêtements: Va te changer, tes habits sont tout trempes (mouillés).
   Je trouve dans M. Barbeau (Folklore): «Je ne me suis pas changé, je n'ai pas la barbe faite».
   Changer un chèque, c'est le réaliser, le toucher.
   CHANSONS. Les premiers Acadiens ont apporté, j'ose dire, toutes les vieilles chansons de France tant du centre que du nord et du royaume. Les vieillards se les remémorent en partie, mais elles s'en vont disparaissant. C'est grande pitié de les voir partir.
   Quelques ecclésiastiques de l'Île-du-Prince-Édouard ont fait le pieux projet de les tirer de l'oubli. Qu'ils se hâtent avant qu'elles périssent toutes.

   CHANTEAU. La coutume, si chrétienne, évocatrice de la première église, de distribuer le pain béni aux offices religieux du dimanche persiste encore dans quelques recoins de l'Acadie, mais est à la veille de disparaître à tout jamais. De ce pain béni par le célébrant, le chanteau, morceau du bout et le plus doré, était réservé pour le prêtre, et le plus gros allait d'ordinaire à la chaumière d'un pauvre s'il s'en trouvait dans la paroisse.
   Originairement, le pain de la communion était du pain ordinaire. Les hosties ne furent introduites qu'au XIIe siècle. Le pain consacré, dont le pain béni est la touchante commémoration, était coupé par tranches et distribué aux fidèles.
   Au point de vue philologique, ce qu'il y a de particulier au mot chanteau, c'est que les Acadiens l'appellent château: le château du pain béni ou même d'un pain quelconque.
   Une déformation analogue du mot se constate en France, où l'on a dit d'abord du pain en chantel, ou en chanteau, puis du pain enchanté (voir canter).

   CHANTEUX. Chanteur: «Gardez votre chanteuse avec votre chanteux; / Que je n'entende plus parler de vous ni d'eux». (BARON, Ec. des Pères).

   CHANTIER. Campement en forêt, où l'on fait la coupe du bois l'hiver. Aller, monter dans les chantiers, c'est aller dans un campement de bûcherons.
   Pour les anciens de France, le chantier était une lisière, au bord des riviè-




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.