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CONJUGAISON
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CONNESTABLE

   Mlle de Gournay (XVIIe siècle) nous assure que j'allis, je donnis, je baillis se disaient à la cour et Vaugelas, l'austère Vaugelas, écrit: «J'aimerais mieux dire, Il vesquis, que non pas, il vécut».
   L'Atlas [linguistique de France] de Gilliéron et Edmont ne relève que peu d'exemples du prétérit simple — autre manière de dire passé défini — parmi le peuple de France; c'est une forme morte en français populaire. Au lieu de nous fîmes, je fis, c'est nous avons fait, j'ai fait qui s'entend là-bas comme ici. Dans la langue écrite elle-même, les auteurs évitent aujourd'hui, autant qu'ils le peuvent, de l'employer.
   La conjugaison des verbes français sort illogiquement, dans bien des cas, de la conjugaison latine.
   On a dit en latin vulgaire: habeo amare, j'ai à aimer puis, amare habeo. C'est de là qu'est sorti j'aime-rai ou, plutôt, j'aimer-ai. C'est un infinitif soudé à un indicatif. Dans j'ons, (je ons), le pronom je est un pluriel et correspond à nous.
   Le latin unus avait aussi quelquefois un sens pluriel: uni suevi, unae litterae. On trouve également en vieux français: uns espérons, unes estoiles, unes lettres. Ceci donne la genèse de j'avons et de tous les je pluriels.
   La tendance est à l'uniformité dans la conjugaison des verbes, non seulement en Acadie, mais dans le parler dialectal de France. Presque tous les verbes nouveaux, particulièrement ceux que nous formons sur un substantif ou sur un verbe anglais, entrent dans la première conjugaison, dont aimer est le type. De to travel, nous faisons traveler, comme en France on a fait plumer de plume. C'est à cause de cette tendance à l'uniformité que nous disons — et beaucoup, en France, parmi le peuple, le disent comme nous — vous faisez au lieu de vous faites.
   Ampère voulait réduire à trois les quatre conjugaisons françaises. C'est ce qui faisait dire à Herder [Essais sur] l'origine des lang[age]: «Plus une langue est barbare, plus elle a de
conjugaisons». Mais ceci n'est qu'une boutade à laquelle le grec, le latin et le français classique donnent la réplique. J'aime mieux cette observation de G. Paris: «La syntaxe a été codifiée par les grammairiens avec une pédanterie et une subtilité fâcheuses». Henri Heine, de son côté, se moque de tous les codes grammaticaux et prétend que si les Romains ont conquis le monde, c'est qu'ils n'avaient pas de grammaire latine à apprendre. La langue des Anglais, dominateurs de la cinquième partie du globe, donne presque raison à Heine: elle n'a, on peut dire, pas de syntaxe.
   J'ons et j'avons, pour nous avons, fleurissent ici comme ils fleurissaient en France, même à la cour au XVIe et dans la première partie du XVIIe siècle, c'est-à-dire à l'époque où l'Acadie fut fondée. «J'avons espérance qu'y fera beau temps, veu ce que disent les estoiles, que j'avons eu le loysir de voir». (Lettre de François 1er à M. de Montmorency).
   «Pensez à vous, ô courtisans, / Qui lourdement barbarisants / Toujours j'allions, je venions dites... (ESTIENNE, [Precellence] du langage françois).
   Et il ajoute: «Ce sont les mieux parlants qui prononcent ainsi: j'allons, je venons, je disnons, je soupons».
   Voici notre manière de conjuguer: j'ai, t'as (contraction de tu as) il a, j'avons ou j'ons, vous avez, i(l)s avont; j'aime, tu aimes, (contracté en t'aimes), il aime, j'aimons, vous aimez, i(l)s aimont. Pas ou presque pas de verbes irréguliers. Mais cette manière n'est pas la bonne, n'étant pas celle de l'Académie française!

   CONNESTABLE. Homme de police, gendarme. Nous faisons sonner le s parce que nous tenons ce mot directement de l'anglais et qu'il est entré dans notre vocabulaire par les oreilles et non par les yeux.
   Les Anglais ont pris leur constable de l'ancien français avec environ 20 000 autres mots. Quoique contenant le s des Anglais, le mot connes-




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.