D. Le timbre de la consonne d a été soumis a beaucoup de vicissitudes dans son passage du latin au français. Les Celtes, apparemment, ne parvenaient pas à donner à cette dentale, surtout lorsqu'elle était suivie de la voyelle i, le son précis qu'elle avait sur les lèvres des Latins; et les Français du Conservatoire, leurs descendants, n'y parviennent guère davantage. Il faut aller chez le peuple pour en retrouver le timbre, sinon précis, du moins approximatif. Dans une partie de l'Anjou, di se prononce dji, avec le son ji très marqué, nous di[sent] Verrier [et Onillon], et il[s] ajoute[nt]: «Cette prononciation est impossible à indiquer. Les indigènes seuls la possèdent». M. L. Clédat (Gramm. Élém.) explique la chose scientifiquement: «Le d initial, dit-il, disparaît devant le i consonnifiable de diurnum, qui a donné jour». Les savants comprendront cette explication mieux que nous, les non initiés. Les colonisateurs de l'Acadie, venus de la Touraine et du Berri vers le milieu du XVIIe siècle, apportèrent de ce côté-ci de l'Atlantique la prononciation angevine de la syllabe di, qui était celle d'à peu près tout le centre de la France, et leurs descendants l'ont conservée intacte jusqu'à ce jour. La graphie, ou plutôt, l'impuissance phonétique de la graphie française a, chez ceux qui règlent leur prononciation sur l'écriture, profondément altéré le timbre antique du d suivi d'un i, comme elle l'a fait d'ailleurs pour un nombre très considérable de sons primitifs réfractaires à notre clavier alphabétique. Prenons, par exemple, la syllabe di dans le mot diable. Le populaire de France, pas plus que les Acadiens et les Canadiens, ne donne à cette den-
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tale le timbre artificiel qu'elle a au Conservatoire et à l'Académie. Les Canadiens épellent le mot: guiable et les Acadiens: djable. Ni l'une ni l'autre manière n'en rende le son précis. Il en est de même du substantif Dieu. M. Barbeau (Folklore) traduit par gargyen le mot gardien, entendu dans la Gaspésie. «Oh! les beaux pommiers, mon Guieu», écrit Joseph l'Hôpital, dans ses Monologues normands. De son côté, Gilliéron (Atlas [linguistique de France]) nous dit que di-able se prononce djiable (gy-a-b) dans le centre et l'ouest de la France. On pourrait dire la même chose de ti dans pitié, par exemple, qui fait pitché (ou quelque chose d'approchant) en Acadie, et pikié chez l'habitant du Canada. Pelletier, nom propre, dans lequel entre la syllabe mouillée ti, sonne, au pays de Québec, si près de Pelkier que le nom du champion mondial de boxe, un Canadien, fût souvent épelé Pelky (prononcé Pelké) dans les journaux de la Nouvelle-Angleterre. Je cherche en vain dans tout ceci le phénomène de consonnification dont parle Clédat. Le son de di qu'on entend au Conservatoire est un son artificiel, introduit par les yeux. Celui que le peuple donne à cette syllabe, celui que nous lui donnons, a été transmis par l'oreille de génération en génération. Il remonte aux premières origines de la langue. Dans les mots où il n'est pas suivi de la voyelle i comme dans Acadien, Canadien, Dieu, diable, ange-gardien, etc., la consonne d se prononce, en Acadie, exactement comme au théâtre de Molière à Paris. Je trouve une exception Acadie. Mais Acadie est un mot livresque.
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