page



DÉROBER
- 150 -
DÉSABRIER (SE)

auteurs du XVIIe siècle. Arraper pour raper est donné dans un dictionnaire français-italien, paru en 1677, comme appartenant au «stile [style] bas ou burlesque». Il est familier également en Acadie. Au figuré, les terrestres lui donnent le sens de partir, s'en aller: Il est temps que je dérape. Le vieux français disait arâper pour saisir avec force. De l'allemand, raffen, saisir.

   DÉROBER. Littéralement, enlever la robe. Dérober du blé d'Inde (maïs), c'est enlever les feuilles qui couvrent l'épi. C'est un mot d'origine germanique, rauben; en anglais to rob, signifiant voler, dérober. Pour bien saisir le sens qu'il a conservé en Acadie, il faut l'étudier rétrospectivement.
   Le mot robe, sur lequel dérober a été formé, s'est spécialisé en français et signifie aujourd'hui vêtement de femme. Il a aussi signifié vêtement d'homme: la noblesse de robe, les robes noires (soutanes), robin. Aux origines de la langue, il était synonyme de ce que nous appelons hardes et signifiait vêtements quelconques. Dérober quelqu'un c'était, pour les reîtres allemands, lui enlever ce qu'il avait sur le corps, le dépouiller. L'italien roba a conservé le sens antique du mot: «Et li conta qu'il alaient par les rues forainnes pour dérober la gent». (JOINVILLE). Dépouiller les gens, leur enlever leurs beaux habits aussi bien que leur argent. Dérober, pour enlever les vêtements, est encore mieux précisé dans cet extrait de la Lex Alemann, tit. 49: «Quidquid super eum cum rauba vel arma tulit, omnia sicut furtiva componat». Les Anglais ont to disrobe, se dévêtir.
   C'est, appuyé sur ces autorités, que garçons et jeunes filles se réunissent durant les longues et joyeuses soirées d'automne, autour de la maçoune (l'âtre) où flambe un feu de bûches, pour dérober du blé d'Inde, en d'autres termes, pour enlever la robe aux tiges de maïs: «Et si se denue et desrobe». (Roman de la Rose); «On appelle, à Paris, fèves dérobées, des fèves dont on a ôté la robe». (MÉNAGE).
   DERRIÈRE. C'est ainsi que le mot s'écrit à l'Académie, et c'est ainsi que nous le prononçons. Mais à côté de derrière, le Dictionnaire donne arrière: Arrière-train, arrière-garde, etc. Nous disons errière dans tous les cas: marche en errière; Il est là-bas en errière. Le vieux français avait rière, formé sur retro, d'où l'Anglais rear-guard, prononcé rire-garde.
   Les Picards et la plupart des Canadiens disent darrière: «Le cahuet de leurs capuchons estoyt devant ataché, non darrière». (RABELAIS, Pantagruel). Certains étymologistes prétendent que d'arrière vient d'ad retro, et derrière de de retro. Je préfèrerais y voir les voyelles e et a se substituant l'une à l'autre devant la liquide r, comme la chose est arrivée souvent dans la langue.

   DES, DE. Au XVIe siècle, on mettait souvent des devant un substantif et devant un adjectif précédant un substantif, là où les grammairiens du siècle suivant, aussi bien que ceux du nôtre, exigent de: des excellentes vertus, des bons conseils; pour d'excellentes vertus, de bons conseils. Cette faute grammaticale, nous la tenons de La Fontaine qui écrit dans Le Bûcheron et Mercure [Fable]: «Il n'avait pas des outils à revendre»; D'Aubigné ([Les Tragiques], «Les Feux»): «Armez de la prière et non point des couteaux»; de s[aint] François de Sales: «Un bon arbre ne produit que des bons fruits».

   DÉSABRIER (Se). Se désabrier c'est, quand on est au lit se découvrir ou, quand on est en voiture l'hiver, enlever ses robes de carriole.
   On désabrie une plante, une racine, en ôtant la terre qui la couvre: désabrier le pied d'un pommier; «Tous les anciens exemples donnent à abrier le sens de couvrir d'un vêtement plutôt que de mettre à l'abri». (PARIS). Désabrier est le contraire d'abrier: «Quant (cil) avont esconté, respondu ou nié, / Qu'il onques ne le virent nu




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.