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ÉCOPEAU
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ÉCOPEAU

qu'il traduit en français par rongnieure (rognure) de drap. Ailleurs, c'est un coypeau de maison.
   «Vous n'en eussiez pas donné un coupeau d'oignon», nous dit Rabelais. Un coupeau d'oignon, c'est une pelure d'oignon.
   «Le coupeau est le sommet d'une montagne», nous dit J. de Marthold (Le Jargon de Villon, p. 71) à l'appui de quoi il mentionne Mont Coupeau, près [de] Montmirail sur la Marne.
   On lit dans l'Ancien Théâtre français (IV, p. III): «A-t-on vu d'un arbre le couppeau chevelu?».
   Très anciennement, copeau avait le sens de rigole ou de petit cours d'eau; il désignait aussi la rognure des ongles. En vieux normand, il se disait de la gaine d'un couteau.
   Ainsi ce mot, avec ses différentes manières de l'épeler et les diverses significations qu'on lui a données, est tout seul une véritable macédoine.
   Un autre sens qu'il avait, et le plus considérable, si l'on peut dire, et que l'on trouve surtout dans messire Rabelais, c'est celui de mari... à qui sa femme en fait voir de toutes les couleurs, et qui finit par n'y plus rien voir du tout. Ce mari-là s'appelait proprement un copeau.
   Ce dernier sens est celui qui a longtemps prévalu dans les écritures, à l'exclusion des autres. Loi de l'analogie, loi du plus fort.
   Personne, à la cour et à la ville, ne savait au juste ce qu'était ou pouvait être un écopeau, ni se souciait de le savoir; tandis que copeaux et coupeaux y abondaient, y surabondaient même, chacun cornait le mot à la tête de son voisin ou aux oreilles de sa voisine. Tout le monde le connaissait, pour en rire ou pour en être soi-même la risée. Le peuple aussi le connaissait. On le trouve avec son sens rabelaisien jusque dans les Conférences.
   Pour les faiseurs de dictionnaires, dont aucun, apparemment, n'avait manié la hache du bûcheron ni vu d'écopeau sortir de l'entaille d'un arbre, le
premier sens du mot s'est perdu, et les autres se sont présentés confusément à son esprit. Tout le monde savait ce que c'est que raboter. L'écopeau, devenu copeau, de par la loi d'analogie, a pris, sous la plume des écrivains, le sens de ruban de bois «long et terve» qui sort de la varlope.
   Quant à l'étymologie, quant au radical de copeau, ils avouent presque tous — il faut toujours faire exception de Ménage — n'en rien savoir. Ce mot, pour tout le monde, est un caméléon dont il est impossible de fixer la véritable couleur.
   Faisons comme Ménage, et allons-y, comme si nous avions trouvé le mot de l'énigme.
   Écopeau ou copeau est un composé, dont la seconde moitié peau dérive, il me semble, du latin pellem. L[e] l étymologique que l'on trouve dans les anciennes graphies françaises est là pour en faire foi.
   Quant à la première partie du mot, la plus essentielle, il ne faut la chercher ni dans le latin, ni dans le grec, langues aristocratiques. Les termes qui désignent les travaux, les occupations, les métiers, relevant directement du peuple, sont presque tous des termes indigènes, réputés bas, dont il faut chercher l'origine aux lieux de leur provenance: la Gaule ou la Germanie.
   Or, d'où vient la première partie du mot français coupeau, copeau ou écopeau? Quel en est le radical? Le même, apparemment, que celui de couper ou coper. «La prononciation copeau à côté de coupeau a existé en français depuis le XVIe siècle... Coper et copeau sont des doublets de couper et coupeau». (ROSSET, Les Origines de la Prononciation).
   Couper peut très bien être une forme du bas-latin colpus. Il peut aussi se rattacher au saxon cut, en anglais to cut (prononcé cott), signifiant couper, d'où cooper, faiseur de barils, en anglais.
   Colpus et cut sont, l'un et l'autre, apparentés au breton kolpa, couper et discolpa, fendre. En gallois colp signi-




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.