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EMPRINTER
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EN

   «Un sarcuel fist appareiller / Lez la mesière du moustier / A meitre emprès sa mort son corps / Sous la gouttière de defors». (WACE, Roman de Rou, v. 5879).
   On trouve emprès dans Les Narbonnais (v. 7653) et dans plusieurs autres ouvrages anciens. Le m de emprès est adventice.
   Ce mot a été retenu, comme ici, dans le centre de la France, notamment en Anjou.

   EMPRINTER. Emprunter. On trouve emprinter dans la vieille langue: «Le dit Jehan emprinta de la Maison / Dieu de Bourges huit liz granz». (Bibliothèque des Chartes, de Littré). L'origine du mot n'est pas bien connue.

   EMPUE (Le diable m'). Locution équivalent, mais en douceur, à: le diable m'emporte! On l'entend en France et au Canada aussi bien qu'en Acadie.
   Empuer, en vieux français, se disait pour embrocher, enfourcher et pue signifiait une pointe. On dit encore pue pour pointe en Berri. Le diable m'empue signifie, par conséquent, le diable m'embroche avec sa fourche.

   EN. Cette préposition de temps et de lieu avait plusieurs emplois dans la vieille langue qu'elle n'a plus dans celle qu'ont réglée les Quarante immortels de l'Académie française. Quelques-uns de ces emplois, perdus ou désuets en France aujourd'hui, se retrouvent en Acadie.
   Par exemple, nous disons en nuit pour de nuit, durant la nuit: Il est parti à onze heure en nuit; Il fait plus frais à voyager en nuit que le jour.
   Il est resté dans la langue: en plein coeur de nuit.
   L'expression remonte haut: «Anoit m'avint, une vision d'angle»; c'est-à-dire: en nuit, durant la nuit, il me vint une vision d'ange. (Chanson de Roland).
   Au XVIe siècle, en et nuit furent fusionnés en un seul vocable, ennuit
(qu'il ne faut pas confondre avec ennui) dont on fit un adverbe: «Or pensez ennuit (cette nuit), Philippe, comment vous leur pourrez faire relation». (FROISSART); «Ce que pouvoit faire ennuit, ne le remettait au lendemain». (BRANTÔME, [Vies des hommes illustres et des grands capitines], «M. de Montsallez»).
   On trouve dans Brantôme en matin et enmatin en un seul mot.
   En nuit s'est dit, dans la vieille langue, en même temps que en demain d'où endemain, l'endemain, lendemain, le landemain. Il est resté dans la langue: en été, en hiver.
   On a dit, en vieux français, en hui, de in hodie, pour aujourd'hui.
   En nuit, en jour, en loin s'entendent aujourd'hui dans le centre de la France.
«On pouvait apercevoir en jour un coin de l'Alsace». (BAZIN, Les Oberlé). Nos écrivains éprouvent quelques difficultés à proprement désigner la province canadienne de Québec, à cause de la Cité de Champlain qui porte le même nom. On dit bien en Ontario, au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Écosse, mais doit-on, peut-on dire, en Québec. Louis Hémon, l'auteur de Maria Chapdelaine, tourne la difficulté en écrivant «le pays de Québec».
   Les écrivains du Grand Siècle n'avaient pas de ces scrupules. Ils mettaient en devant un nom de pays, voire un nom de ville. Bossuet dit «en Jérusalem». Racine: «en Argos»; Molière (Scapin): «Il va vous emmener votre fils en Alger» et Corneille (Le Menteur): «Je serai marié, si l'on veut, en Alger». On lit dans La Bruyère: «Irène se transporta à grands frais en Epidaure».
   Les emplois surannés que nous faisons de en se retrouvent tous dans l'ancienne langue; ils existent, pour la presque totalité, aujourd'hui encore, dans le parler dialectal de France.
   En voici quelques-uns: en bas de la page; il est en âge; s'en aller en dérive; être en boisson; mettre en écrit; en premier; en dernier; pas en tout;




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.