page



ÉPÂRERIE
- 188 -
ÉPEURER

22); «Ô terre, ô mer, ô ciel épars, / Je suis en feu de toutes pars». (RONSARD, Odes, liv. III); «Car c'est lui qui répand la neige à pleines mains; comme flacons de neige, il l'oblige à descendre»; «La bruine à son choix s'épart sur les humains, comme s'épartirait la cendre». (CORNEILLE, traduction du psaume [Psaumes], 147). Corneille ici donne à épârer et épardir à peu près le même sens. À côté d'épartir, on trouve épardir et s'épardir dans les anciens auteurs: «Ils rompirent les Anglais et les espardirent (dispersèrent) tellement que oncques il ne se purent mettre ensemble». (FROISSART).
   Eparjer a le sens de répandre dans les Sermons de s[aint] Bernard. «Ses renoms qui en maint lieu s'espait». (DESCHAMPS, vol. I, 76e Ballade); «Par mes arrests, j'espars, je detruis, je conserve». ([D']AUBIGNÉ, [Les Tragiques], «Misères»).
   Épârer a donné épars, ou épars, épârer. Ce mot avait, dans l'ancienne langue, des emplois qu'il n'a plus: «Chil qui tans livres et tant mars / Del avoir par le monde pars / Tolut à destre et à senestre». (Vers sur la mort, cités par Burgy, XIIe siècle); «Parce que il estoient espars en tant de leurs lieues». (VILLEHARDOUIN); «Le grand entour espars / Nonce de toutes parts / L'ouvrage de ses mains». (MAROT).
   Je trouve ailleurs: «Des biens que Dieu nous a espars / Chacun en doit avoir sa part»; «Ils orent (eurent) une dure fortune et contraire, et tant que leurs vaisseaux furent épars». (FROISSART); «Il cheut à bras espars». (RONSARD, Le Bocage royal); «Il dit partout vostre bruit estre espars». (SAINT-GELAIS).
   La langue, qui a conservé épars, a rejeté éparé et épârer. Le vieux français avait en plus esparcir avec le sens de faire des éclairs, du feu chalain. Est-ce en souvenir de cela que dans certaine partie de la Normandie on dit aujourd'hui un ciel épâré pour un ciel sans nuage?
   ÉPÂRERIE. Tas de choses laissées par terre, en désordre: Voyez cette épârerie; Quelle épârerie!

   ÉPELAN. Éperlan. En vieux fr[ançais] espellan; Palsgrave écrit esplang. Épelan, prononcé éplan, est le vieux terme français; éperlan est germanique: spierling. Nous avons gardé le bon vieux mot emporté de France, malgré les journaux, les maîtres d'école et l'Académie, qui disent éperlan, en faisant bien sonner le r de spierling. Quelques-uns des nôtres prononcent éplang, comme Palsgrave a entendu prononcer le mot à Paris même au XVIe siècle.
   On trouve éspelan dans Rabelais; «Espelans vieilles». (Pantagruel) L[e] s médial ne se fait pas entendre; c'est un s étymologique conservé par la graphie.
   Champlain (liv. I, chap. I) écrit esplan. Cotgrave également. Lescarbot épelle le mot comme nous: «Léplan est tout le premier poisson qui se présente au renouveau». Pour donner un spécimen du procédé étymologique d'antan: «Ce poisson a été ainsi appelé de sa couleur semblable à celle d'une perle». (Rondelet, Poissons de rivière, chap. XVIII). Cette trouvaille est de Ménage.
   On disait mélan pour merlan, dans l'ancienne langue, le r médial tombant ainsi que dans éperlan.

   ÉPEURER. (Voir Empeuré). Faire peur à quelqu'un, l'effrayer: Ne faites pas de bruit, ça épeure les oiseaux. Ce mot appartient à la vieille langue: «Comme François était épeuré jusqu'à en perdre le peu d'esprit qu'il avait». (SAND, François le Champi). Nous dirions ici empeuré au lieu d'épeuré.
   Ailleurs, [Les] Maîtres sonneurs, George Sand donne à épeurer son véritable emploi: «Une chose... m'épeura comme un petit enfant»; «Il regarda d'un air épeuré la côte-des-Prêtres». (THEURIET).




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.