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ÉQUIPER (S')
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ER, ÈRE

   ÉQUIPER (S'). Se salir, se couvrir de boue, se mal accoutrer. Équiper est un terme marin, d'origine scandinave, se rattachant à l'anglais ship et à l'allemand schiff. Schiff a donné esquipe au franco-normand, d'où esquif et équiper.
   Équiper a signifié, tout d'abord, mettre un vaisseau en état de prendre la mer, c.-à-d., le munir de tout son gréement, y compris l'équipage.
   Transporté à terre, le terme fut appliqué à ceux qui se destinaient, ou plutôt, que l'on destinait à la guerre, et s'équiper signifia s'accoutrer, se revêtir de l'uniforme militaire.
   Mais le Normand, établi sur de bounes terres, avec sa femme et sa famille, n'était plus l'écumeur de mers d'autrefois. Comme il aspirait à la tranquilité, il prit la guerre et tous ceux qui la faisaient en détestation, d'où le sens péjoratif qu'il donna à l'équipement du soldat.
   La langue française a plusieurs autres mots dont le sens a totalement changé. Sophiste en est un; dévot menace d'en devenir un autre.
   On a dit mal équipé d'abord, plus tard, équipé a fini seul par signifier la même chose.
   Un enfant s'équipe quand il salit son drapeau (ses langes) ou se roule dans la boue. Il s'est tout équipé, il a tout équipé son habit en tombant dans cette mare.
   On dit à l'Académie: Peut-on s'équiper de la sorte. Ou encore: Il arriva bien équipé.
   Le sens tout à fait péjoratif que nous donnons à ce mot se retrouve fréquemment sous la plume des grands écrivains du XVIe siècle: «Je ne pouvais sortir de la guerre plus mal équipé que je n'y entré». ([D']AUBIGNÉ); «Se laisser équiper en cette façon!» (MONTAIGNE); «Comme vous équipez votre ami!». (VADÉ, Nicaise, sc[ène] 7); «Dans l'équipage d'un homme qui a pris médecine». (LA BRUYÈRE, [Les Caractères], «de Quelques usages»).
   ÉQUIPOLLENT. [Prononcé etchipollent]. Quoique à l'Académie ce mot est à peu près sorti de l'usage, il conserve ici toute la jeunesse qu'il avait en France au XVIe siècle: «Il n'en avoient aucuns biens équipollent». (FROISSART); «Si je n'ay point le coeur assez gros, je l'ai à l'équipollent». (MONTAIGNE).

   ER, ÈRE. En terminaison. Les mots qui se terminent par -er et -ère ne se prononcent pas tous de la même manière au Conservatoire aussi bien qu'en Acadie. On dit père, mère à Paris, aujourd'hui, avec un accent grave sur le è du milieu. Ces mêmes mots prennent un accent aigu sur le é en Acadie; nous disons pére, mére. On a longtemps prononcé comme nous en France, même à Paris, même à la cour. La preuve, c'est que mère s'est souvent écrit meire, dans l'ancienne langue: «A la requeste d'Andrien men freire»; «L'arme (l'âme) men peire», de mon père (VILLEHARDOUIN).
   On trouve freire même au siècle dernier, nous dit Burgy dans sa grammaire.
   Le changement de pére ou peire en père, tel que le mot s'écrit aujourd'hui, est survenu assez tard dans la langue écrite. On trouve mére dans l'édition de 1740 du Dictionnaire de l'Académie. «Les mots en ère, comme père, mère, frère, avaient un é fermé, aux XVIe et XVIIe siècles». (ROSSET, [Les] Origines de la prononciation moderne, p. 271).
   Voici ce que les savants ont à dire là-dessus. Dans les cas où le é provient du a latin entravé, c'est-à-dire, suivi de deux consonnes différentes comme dans père, mère, formés sur patrem, matrem, e se fermait é dans la plupart des cas, à l'origine au lieu de s'ouvrir, comme aujourd'hui à l'Académie, où ces mots s'écrivent avec un accent grave: père, mère.
   D'un autre côté, dans les mots où e provient d'un a latin non suivi de deux consonnes différentes, comme mer de mare, cher de carum, nous mettons




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.