page



ERRIÈRE
- 192 -
ESCLOPER

fiant, originairement, l'allure des cerfs, d'un chevreuil. On dit encore en France, même à l'Académie, les erres sont rompues, pour les traces du cerf ont disparu.
   Clédat fait venir erre de iterare, qui a donné errer, c.-à-d., cheminer à l'ancienne langue.
   Chez les Canadiens, donner l'erre à quelqu'un, c'est au figuré, lui signifier l'ordre de détaler, c'est le mettre à la porte.
   Nous disons: se donner l'erre, pour partir à toute vitesse. L'expression a la même signification dans la langue argotique.    «Béjazet se ouvoit belle erre sur une jument arabesque». (MONTAIGNE); «Les Sauvages s'enfuyaient belle erre», c.-à-d., à toute vitesse. (LESCARBOT).

   ERRIÈRE. Arrière. Le français officiel écrit arrière et derrière. Pourquoi un a dans le premier mot et un e dans le second? Nous disons, et nos cousins de l'Anjou disent comme nous, errière et derrière: deux e.
    «Ceux qui sont de l'errière gagnent tous les sept ans», est un dicton populaire qu'on entend encore aujourd'hui en France.
   Avoir de l'errière signifie dans notre parler être en retard: Ma montre a de l'errière. C'est le contraire de: ma montre a de l'avant. On trouve rière, errière et arrièer dans l'ancienne langue.

   ES-. Nous conservons, dans plusieurs mots, la prosthèse es-, là où elle a disparu à l'Académie: escorbut, esclopé, estatue, par exemple, pour scorbut, éclopé, statue. Espérer, du latin sperare, en est une autre, mais celle-ci, ayant trouvé grâce devant les artisans du Dictionnaire, est de l'excellent français, les autres sont du patois.

   ESCARRER. Prendre des poses; affecter de grands airs, plutôt ridicules. Aux Îles-Madeleine: prendre ses aises, pendant que les autres tra-
vaillent; se singulariser. À la Baie-des-Chaleurs: s'étendre paresseusement: s'escarrer dans sa chaise.
   En roman, s'escarer, c'est danser, frétiller; en argot, empêcher. «Escarre, eskaré grand fracas». (LA COMBE, Dict[ionnaire]); «Escarrer. Echancrer un habit dans la partie qui couvre la poitrine». (OUDIN).

   ESCARS. Gestes bizarres; attitudes excentriques.
   M. Marius Barbeau rapporte dans son [Le] Folklore [canadien-français, Mémoires de la Société royale du Canada, 1915, pp. 449-481] qu'il a entendu dire escâtres, à l'Assomption. C'est apparemment le même mot. Il donne escâtreux; nous avons escâreux. En argot, escare signifie empêchement.

   ESCLAVE. Nous disons: C'est un pauvre esclave pour un miséreux. Ils font un esclave de lui: ils le maltraitent. S'entend aussi pour esprit borné, pour quelqu'un qui ne sait pas se défendre, un souffre-douleur, un pâtira.
   Quelqu'un qui se sent souffreteux dira: Je suis bien esclave aujourd'hui; «Je suis dégoutée (de la passion) de la Fare; elle est trop grande et trop esclave». (LAFAYETTE, Lettre au comte de Bussy-Rabutin).
   «Nous prenons aujourd'hui ce mot pour toute sorte de serfs et de captifs». (MÉNAGE). Ce terme a une bien singulière genèse. Les slaves, à l'origine, étaient les brillants, les illustres. Les Allemands, en jouant sur les mots, les appelèrent sclaven, c'est-à-dire, esclaves, après qu'Othon le Grand et ses successeurs les eurent réduits ou eurent réduit un grand nombre en servitude. C'est de l'allemand plutôt que du latin que nous vient apparemment le sens particulier que nous donnons à esclave.

   ESCLOPER. (Le s sonne). Blesser, estropier. C'est un bon vieux mot français, d'origine apparemment celtique ou tudesque. C'est parce qu'on lui a




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.