page



GENRE
- 233 -
GENRE

certaines combinaisons de mots, mais sans flexion.
   Ainsi nous disons, comme en France, d'ailleurs, la fête-Dieu, l'hôtel-Dieu, pour la fête de Dieu, l'hôtel de Dieu. Nous avons, en plus, la côte nord du Saint-Laurent pour la côte du nord du Saint-Laurent; les Îles-Madeleine pour les îles de Madeleine; l'île Saint-Jean pour l'île de Saint-Jean; au ras terre, auras la maison pour au ras de terre, de la maison; du long la rivière pour du long de la rivière; la doctrine-Monroe pour la doctrine de Monroe.

   GENRE. Plusieurs mots sont du genre féminin, en Acadie, qui sont masculins à l'Académie, et inversement. Dans la langue française, où le neutre n'existe pas, le genre des mots, en dehors de ceux qui représentent les sexes, est plutôt de convention.
   Nous disons de la poison et messieurs de l'Académie, du poison. Nous avons tort et les Académiciens ont raison, et pourtant poison vient de potio, ou plutôt de potionem, qui a aussi donné potion, une potion. L'anomalie, ici, ne peut s'expliquer que par le fait que poison est de formation populaire, et potion de formation livresque, savante, par conséquent.
   Parmi les mots qui sont féminins en Acadie, et masculins à l'Académie, mentionnons: Air, soit du temps, soit de musique, amour, argent, autel, élan, espace, été, évangile, exemple, hiver, honneur, horoscope, intervalle, office, orage, orteil, ouvrage, seigle, serpent, etc.
   Nous rangeons parmi les masculins: ancre, auge, dinde, échappatoire, épingle, erreur, insulte, offre, Noël, Pâques, tarière, tous mots qui sont féminins dans la langue officielle. Cigare est masculin en Acadie, un cigare et féminin une cigare chez le peuple, au Canada ainsi que dans le midi de la France.
   Nous n'avons rien créé ni inventé, de ce côté-ci de l'Atlantique en fait de genres. Nous les avons conservés tels
que nos pères nous les ont transmis lorsqu'ils sont venus s'établir en Acadie et au Canada. La preuve, c'est que la presque totalité des mots que j'ai cités ont gardé, chez le peuple de France, le genre qu'ils ont aujourd'hui au Canada et en Acadie.
   Plusieurs étaient flottants, que le Dictionnaire a fixés.
   Été a longtemps appartenu au genre féminin en France. Plusieurs écrivains du grand siècle ont rangé insulte dans la même catégorie.
   Automne a été féminin jusqu'au XVIIe siècle; intervalle l'était au moyen âge; J.-J. Rousseau le met également au féminin dans [Julie ou] la Nouvelle Héloïse; Madame de Sévigné dans une de ses lettres écrit: «Cette diablesse d'orage». Vauvenargues ([Oeuvres], «Ergaste, [ou l'homme ferme]») dit comme nous, une remise au lieu d'un remise. Ouvrage était féminin, en vieux français, aussi bien que honneur; orage l'était encore sous la plume de plusieurs écrivains du Grand Siècle; les anciens disaient, comme nous, de la poison; offre était des deux genres au XVIe et au XVIIe siècles; tarière était masculin, en vieux français; ancre l'était au XVIe siècle; erreur est masculin dans Cotgrave; espace, formé sur un pluriel neutre, spatia, fut d'abord féminin; quand on eut réformé le mot en lui donnant spatium pour radical, il prit le genre masculin; office, exemple, évangile pour la même raison devinrent masculins après avoir été longtemps féminins. Même que le Dictionnaire de l'Académie, édition de 1694, lui donne les deux genres. Serpent, de serpentem, était de l'un et l'autre genre dans la vieille langue; âge de même, aux XVIe et XVIIe siècles. Amour, originairement du féminin, a longtemps ballotté entre les deux genres. Il ou elle ballotte encore!
   «Rien de plus curieux que de voir le genre de certains noms se régler par la galanterie; si bien que l'on pourrait écrire un piquant article: Les femmes et le genre de noms». (BRUNOT,




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.