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GOBAGE
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GODENDART

   Il paraît étonnant, au premier abord, que ce vocable ne tombe pas sous la plume des écrivains français, tant ceux de l'ancienne langue que ceux du Grand Siècle.
   En y regardant de plus près, cet étonnement cesse. Got, aussi bien que l'anglais gut (prononcé gott) [ou] gutts, gotte, est un mot d'origine tudesque, bas par conséquent. Il avait pour concurrent les mots latins gutter, gustus (auxquels correspondent les formes got et goût) et les types grecs en glot. Quoi d'étonnant qu'en ces siècles où tout tendait éperdument à la distinction aristocratique, les vocables aussi bien que les gens, le mot bas et vilain ait été repoussé et renvoyé à la plèbe dont il sortait, et que le terme grec ou latin, orné de manchettes, de hauts-de-chausses, et nanti d'authentiques quartiers de noblesse linguistique, ait eu les honneurs de l'élection.
   Et encore, est-il bien vrai que go- ait été écarté avec autant de sans-gêne? On le retrouve partout, défiguré, il est vrai, dans la langue française. Gustus, goût et got ne sont qu'un même et unique vocable, le u latin donnant tantôt ou et tantôt o en français. Gosier lui-même est notre radical, agrémenté d'une désinence.
   On peut en dire autant de goût-er.
   Prétendre que le mot go, dépouillé de tout ornement caudal, ne se retrouve que dans les idiomes du nord, n'est pas rigoureusement exact. On lit dans le roman de Florence et de Blancher, [Floire et Blancheflor] (v. 2481): «La damoiselle bien le got».
   Ce got vient de goder et dérive du latin gaudere, se réjouir. Gau-dere lui-même n'est qu'une déformation de go. Ausone dans sa XIIe Idylle, [Oeuvres] nous apprend qu'Ennius avait employé gau pour gaudium: «Ennius, ut memorat, replet laetificum gau». (GENIN, Récréations philologiques, vol. II, p. 267). Gau et go, c'est le même mot, épelé différemment.
   Nicolas Denys (XVIIe siècle) est le seul, parmi les écrivains français, où je trouve le mot go, qu'il épelle comme Ennius, gau: Il y a des molues (mo-
rues) qui avalent l'ain (l'hameçon) et l'appast si goulument que l'ain entre dans leur gau. Les pêcheurs appellent cela engotté; et de celles-là qui sont engottées, il s'en rencontre qui ont leur gau à la gueule». (vol. II, p. 181).
   Ailleurs, il précise davantage: «Il s'en rencontre qui ont leur gau à la gueule, tout déviré ou retourné».
   Nos pêcheurs acadiens ne diraient pas autrement. Engotté, mot courant en Acadie et qui manque à la langue française, signifie avoir le got obstrué.
   Littré a recueilli le mot: «Gau, estomac de la morue», et en donne une définition presque exacte.
   Le gau étant la source première des joies animales — joie a été formé sur le latin gau-dia — il n'est pas étonnant que ce mot, sous une forme ou sous une autre, se retrouve dans toutes les langues sorties de l'indo-européen. Good (prononcé goude), mot anglais qui s'est écrit god, gode, godd, goed, goude, et dont on recherche vainement l'origine, pourrait bien être une forme de got.

   GOBAGE. Poisson d'eau salée, du genre morue. Polack ou Polock, en anglais. [C'est le pollack].

   GOBER. Indépendamment du sens que le Dictionnaire donne à ce mot, il s'entend ici pour faire des entailles avec une hache ordinaire sur un arbre abattu, avant de l'équarrir à la grand-hache. To bit off, en anglais: gober un billot, gober une pièce de bois.
   Rapprocher ce mot de gobillard, terme de construction.

   GOD ou GODET. C'est le pingouin commun ou algue [alcidé] à bec-en-rasoir. Le mot est dans Champlain.
   Le grand pingouin, très abondant autrefois, a complètement disparu du nord de l'Europe.

   GODENDART. C'est une scie de long au Canada et en Normandie. On l'appelle godelon dans l'Aunis. Le godendart était une arme à hampe, avec une pointe de fer, portant un croc et




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.