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GRAMMAIRE
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GRAND

pére ni grand-mére». Philaminte prononçait grand-pére comme nous le faisons avec un accent aigu, et faisait rimer les deux mots. ([Les] Femmes savantes, v. 491-2).
   Non seulement le peuple, mais aussi beaucoup de lettrés prononçaient granmaire ou granmére autrefois.
   Les Acadiens, antérieurement à la Confédération canadienne, ignoraient tout de la grammaire française et de ses règles déconcertantes. Le peuple, créateur de toute langue, n'a pas de grammaire écrite et n'en a guère besoin. Les premiers habitants de la Grèce, les antiques et harmonieux Hellènes, aussi bien que les aborigènes de l'Amérique, n'en avaient pas. Et pourtant les uns et les autres ont porté haut la perfection de leur idiome. Les grammairiens viennent, quand la langue est toute faite, et en coordonnent ou en désordonnent les éléments. Au commencement du XVIIe siècle, il n'y avait pas encore, à proprement parler, de grammaire de la langue d'oui [oïl] en France.
   Certaines règles, imposées par les grammairiens, répugnent au peuple, les subjonctifs en -usse par exemple. Jamais un paysan ne dira: Je voudrais que vous reçussiez bien mon ami quand il ira vous voir. Ou encore: Il faudrait que je l'aimasse. Il dirait: receviez; que je l'aime.
   Pas plus que les subjonctifs en -usse en -asse et en -isse, les passés définis en -ûmes, en -âmes et en -îmes ne trouvent grâce devant l'oreille populaire. Ni l'Acadien ni son cousin de France ne dira: nous allâmes, vous vintes, vous partîtes, mais nous sommes (on est, je sons) allés, vous êtes venus, nous avons vu; vous êtes partis.
   Plusieurs écrivains, notamment l'auteur d'Aucassin et Nicolette, font comme nous; ils mettent le passé indéfini là où l'Académie demande un prétérit simple.

   GRAND. Grand, du latin grandis, était, à l'origine de la langue, on peut dire jusqu'au XVIe siècle, des deux
genres devant un substantif: un grand homme, une grand femme. Il l'est encore en Acadie. Nous disons avec Ronsard, ([La] Franciade, liv. I): «Par les forests erre ceste grand bande». Avec Henri Estienne: «Grand ville, grand voix, grand joye». Avec Ronsard encore: «Saturne, sa grand faux; / Neptune ses grands eaux».
   Il nous arrive d'attraper les grands fièvres (les fièvres typhoïdes). En passant par la grand route, à grand hâte, nous saluons la grand croix. Le dimanche, nous allons à la grand messe; nous aimons bien nos grands-pères et nos grands-mères; nous avons grand peur des revenants.
   «Moult y ot grant-noise et grant presse». (CONSTANT DU HAMEL).
   Nous trouvons, dans les auteurs anciens, le mot écrit avec un s, mais sans e muet: «Et à l'humble craintif ces grands portes ouvertes». ([D']AUBIGNÉ, [Les Tragiques], «Vengeances»).
   Un caprice de l'orthographe académique veut que l'on écrive grand'mère avec une apostrophe. Cette apostrophe est une trouvaille des grammairiens, qui aujourd'hui s'appesantit lourdement sur l'orthographe. Elle ne représente à vrai dire absolument rien; il n'existe aucune élision, grand étant des deux genres.
   Les noms propres également s'écrivent en France sans apostrophe, sans doute parce qu'ils sont antérieurs à Vaugelas: Grand-Fontaine, Grandlande, Grandrive, Grandville. Nous avons Grand-Prée, Grand-Digue.
   Le mot grand s'emploie adverbialement, avec le sens de beaucoup, dans un nombre très considérable de cas: Tu n'as pas grand temps à perdre; Cet homme a grand de terres; Il n'y avait pas grand monde à l'assemblée; Il n'est pas tombé grand neige; Nous avons assez grand de terre de labourée.
   La Bruyère ([Les Caractères], «des Grands») emploie le mot grand dans le même sens que nous, mais il en fait un adjectif: «Il se tourne à droite où il




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.