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GRANDEMENT
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GRANTER

y a un grand monde». D'autres avant lui ont dit exactement comme nous disons en Acadie: «Nous n'avons pas grant argent à présent». (Les Quinze Joyes de mariage).
   Dans ces phrases: Elle est belle en grand; Il est bête en grand, nous avons un superlatif.
   La Fontaine ([Contes et nouvelles en vers], Le [Mari] confesseur) dit en grand, pour en cérémonie.
   Un grand-grand-père est un bisaïeul. Nous disons la même chose d'une arrière-grand-mère: une grand-grand-mère.
   On écrivait autrefois en France grandment sans e muet.
   Anatole France, dans Le Petit Pierre, écrit: «Nous n'étions pas riches; elle ne faisait pas grande dépense». Nous dirions: Elle ne faisait pas grand dépense. Qui a raison, au strict point de vue de la langue, l'Acadien illettré ou le grand écrivain français?
   Grand marché ou à grand marché se dit pour à bas prix, à bonne convention: «Plus grant marchié (à meilleur marché) a ly premiers / Et cilz qui légièrement offre / Que cilz qui tient fermé son coffre». (DESCHAMPS, [Poèmes, «[Le] Miroir de mariage»).
   Nous appelons la tragique déportation des nôtres, en 1755, le Grand Dérangement.
   On se sert d'une grand-hache ou hache à grand taillant pour équarrir le bois de charpente.

   GRANDEMENT. Adv. Spacieusement, à l'aise: On est grandement dans ma nouvelle maison.

   GRANDET, GRANDETTE. Passablement grand; joliment grand ou grande, environ l'âge de puberté: Il a une fille qui est grandette; Mon garçon n'est pas encore un homme, mais il est grandet; Ses enfants sont grandets et lui rendent beaucoup de services.
   Cotgrave relève le mot qu'il traduit
en anglais par biggish, greatish. Ceci montre que grandet était encore en usage à Paris au commencement du XVIIe siècle.
   On le trouve assez fréquemment dans les vieux auteurs: «Quand il sont un po grandet». (PHILIPPE DE NOVARE, Des Quatre Tenz d'aage d'ome); «L'une de ces filles dittes / Gisoit en un bers petiteste. / Et l'autre estoit auquels grandeste». (J. LE MARCH, Miroir de N.D., cité par Godefroy); «M. le Prince Porteau... venant à se faire grandet». (BRANTÔME, Discours sur les duels).
   Grandet est un diminutif. Le mot français grandelet, qui est le diminutif de grandet, est entré à l'Académie, probablement à cause de La Fontaine (La Coupe enchantée) qui a écrit: «On devient grandelette, / Puis grande tout à fait».

   GRANDEUR (Parler à la). Loc. Parler avec de grands mots recherchés. C'est ce que les Canadiens appellent parler dans les termes. Horace déconseillait aux auteurs tragiques de son temps de mettre dans la bouche de leurs personnages aucun de ces mots qu'il appelait sesquipedalia verba. «À Paris, tout se fait à la grandeur». (LE DUCHAT).

   GRANTE. Titre de propriété octroyé par le gouvernement à un colon ou à un acquéreur.
   Nous avons pris le mot des Anglais, grant, et n'en connaissons pas d'autre. L'expression remonte aux [Lois de] Guillaume le Conquérant.

   GRANTER. Octroyer. Se dit du titre de concession d'un terrain octroyé par le gouvernement. C'est un anglicisme. On a dit originairement en France: cranter, craantre, créanter, graanter, granter, gréanter, graaunter: «Car il l'avoit tostans amée / Cil ele li fut créantée». (Roman de Brut); «Grantons et établissons par nous et par nos heirs et successeurs, etc». (Charles Édouard III, cité par




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.