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GROSSE-GORGE
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GROUILLER

jours appelé gros-jacques depuis le traité d'Utrecht (1713), peut-être depuis celui de Saint-Germain (1632).
   Voici, je crois, la genèse de ce mot:
   Sous le règne de Jacques VI d'Écosse (fils de Marie Stuart) qui devint Jacques Ier d'Angleterre, l'Acadie passa pour la première fois, sous la domination de la Grande-Bretagne. Le traité de Saint-Germain-en-Laye la rendit à la France, après quelques années d'occupation, mais les Anglais y laissèrent leur empreinte. Plusieurs de nos noms de famille, les Melançon [Melanson], les Caissie, remontent jusque-là. L'argent, toujours assez rare sous les rois de France, circula plus abondamment, surtout des pièces de cuivre à l'effigie du nouveau souverain. Biencourt et ses compagnons les acceptèrent, car elles étaient de bon aloi, mais ils témoignèrent du peu d'estime qu'ils en avaient en les appelant des grous-jacques. Jacques Ier d'Angleterre était, en effet, plutôt grotesque de visage.
   Un sobriquet presque pareil fut donné à François Ier par les Berrichons, celui de roi au grand nez, mais amoureusement parce qu'en 1539, il avait rendu une ordonnance réduisant le travail de ses bien aimés sujets à 13 heures par jour, de 16 heures qu'il était auparavant. Les Abénaquis, plus respectueux de la royauté anglaise que les Acadiens, rient du roi Jacques (ou James): kinzames.
   Assez souvent le prince, dont l'effigie y était représentée, a donné son nom aux pièces de monnaie. Il y eut en France un henri, en Prusse un frédéric, en Aragon un jacques, en Angleterre un carolus, en Espage un alponsin.
   Napoléon a donné son nom à une pièce d'or, et le louis a gardé sa dénomination en même temps que sa valeur monétaire.
   Au siècle dernier, Louis Philippe fit mettre son effigie sur une pièce de cent sous, que les faubouriens d'abord, puis l'argot des voleurs, appelèrent un philippe.
   «Détachant du morceau tantôt quel-
que doublon, / Un jacobus, un ducaton». (LA FONTAINE, [Fables], [Du] Thésauriseur et [du] Singe).
   Le jacobus, monnaie d'or d'Angleterre et valant au-delà d'une guinée, portait-il la même effigie que nos gros-jacques? La chose est possible, Jacobus étant le latin de Jacques. L'argot avait aussi son jacques, lequel valait un sou, juste ce que représente le grous-jacques des Acadiens.
   Jacquet s'est dit pour une sorte de monnaie dans la vieille langue: «Il payèrent le suppléant en faulce monnaie de jacquets». (Rapporté par Godefroy).

   GROSSE-GORGE. Goitre.

   GROSSERIE. Épicerie. Nous avons pris ce terme de l'anglais; les Anglais l'ont pris en France. Grossier, en Normandie, s'est dit autrefois pour épicier.

   GROSSE-TÊTE. Variété de loups marins au Labrador.

   GROUILLER. Verbe neutre, actif et pronominal. [Le Dictionnaire de] l'Académie le donne que comme verbe neutre et ajoute que «dans toutes ses acceptions, il est populaire».
   Bouger, se remuer. Cette acception est universelle chez les Acadiens et aussi, je crois, chez les Canadiens: Ne grouillez pas; Ne grouillez pas de votre place; Grouillez-vous.
   Nonobstant la quasi — condamnation de l'Académie, ce terme était d'un usage universel en France au XVIIe siècle, comme il l'est ici aujourd'hui. Molière l'emploie fréquemment: «Vous ne vous grouillez pas». (La Comtesse d'Escarbagnas, scène II); «Est-ce que Madame Jourdain est décrépite et la tête lui grouille-elle déjà?» (Le Bourgeois Gentilhomme, acte III, scène V). Dans une autre des comédies de Molière, on lit: «Et l'on demande l'heure, et l'on bâille vingt fois, qu'elle grouille aussi peu qu'une pièce de bois».




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.