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JOUQUER
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JUQUER (SE)

   «Qui veut chevir des ses facultés, il faut user d'industrie». (FRANÇOIS DE SALES). «Je la trouve si encombreuse / Si grévéine (insupportable) et si ameuse / Que je n'en peux à chief venir en jouir». (Roman de la Rose).
   Molière (Dom Juan) donne à chevir l'identique sens que nous donnons à jouir: «Nous ne saurions en chevir».
   Dans ses Chansons populaires, M. Barbeau rapporte ce couplet: «Quand Biron entrit à la court, / C'était pour jouir de la reine». c.-à-d., la dominer.
   Nous chantons toujours cette vieille chanson de France, telle qu'on la chantait en Touraine au XVIIe siècle et que, probablement, on la chante encore: «Nous irons sur l'eau nous y prom, promener, / Nous irons jouir dans l'île».
   Les Canadiens, par excès de pudeur, disent jouer au lieu de jouir. Hémon, qui reproduit cette vieille et naïve chanson dans Maria Chapdelaine, écrit proprement: «Nous irons jouir dans l'île».
   On rapporte au sujet de ce mot la véridique histoire d'un habitant d'en bas de Québec qui intenta un procès en séparation de corps et de biens avec sa femme, alléguant qu'il ne pouvait en jouir.
   Du Dictionnaire de Trévoux: «Chevir, être maître de quelque chose. Cet enfant est si mutin qu'il n'y a que sa nourrice qui puisse chevir de lui».
   Nous donnons aussi à ce mot les sens divers que lui donne l'Académie. Le jouir de l'Académie vient du latin gaudere.

   JOUQUER. Mettre sous le jouc (joug), lier une paire de boeufs.

   JUBÉ. La définition que l'Académie donne de ce mot ne correspond pas tout à fait à notre jubé, qui est une galerie d'église avec sièges, faisant tout le tour de l'édifice excepté le sanctuaire.
   Originairement, le jubé était une tribune avec un pupitre, où le diacre, le
sous-diacre, ou tout autre clerc, disait le jube domne benedicere.

   JUC. Juchoir, perchoir de poules. La vieille, la très vieille langue, connaissait ce mot. Il s'emploie encore dans le centre de la France.
   «Vous allez coucher quand les poules sont au jonc». (Ancien Théâtre français, VI, p. 196); «Il usait quelquefois de si rudes termes que les poules s'en fussent levées de juc». (DES PÉRIERS, Contes, XVI); «Temps où les oiseaux juchez se réveillent et quittent le juc». (RICHE-LET).
   On dit, au nord de la France, se mettre au juc pour aller se coucher. Joc, le long de la Moselle.
   L'Académie a conservé déjuc, heure du matin où les poules quittent le perchoir, le juc.
   Juchoir et jucher viennent de juc. L'argot s'est emparé de ce mot pour en faire un gibet.
   Juc n'a pas été formé sur le latin jugum, mais sur le celtique juc, élevé. De fait, c'est un des rares mots que le celtique nous a laissés.

   JUDIC. Nom propre: Judith.

   JUIF. Se dit pour avare, aussi pour sans-coeur, trigaud.

   JUILLET. Le t sonne: juillett.

   JUQUER (Se). Se percher en parlant des poules, se jucher. Juquer et jucher, c'est le même mot, prononcé différemment, comme keval et cheval, kien et chien.
   Les Picards disent comme nous: juquer et aussi les Berrichons, les Tourangeaux et même les faubouriens de Paris.
   Pour les Canadiens, c'est jouquer: «L'aigle arrive et se jouque à la fenêtre». (BARBEAU, «Corps sans âme», [Contes populaires canadiens, Journal of American Folklore, vol. 29, no 111, 1916]); «Quant je vous fus jucquez en hault». (COQUILLART, [Le] Monologue du Puys).




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.