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JUREMENTS
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JUSQUE

   JUREMENTS. Sous le régime français et même jusqu'à la Confédération, les mots de blasphème, les véritables et hideux jurements, étaient, on peut dire, inconnus en Acadie. Mais comme il faut que la mauvaise humeur, ou tout au moins la colère, s'échappe sous une forme ou sous une autre, des jurements blancs leur étaient substitués: saladienne, bouffre, sapré, poche, damné chien, satané chien.
   Rarement entendait-on des paroles plus violentes. Cette suppression du blasphème, [ou mieux, l'adoucissement des termes exprimant le blasphème], était l'oeuvre des missionnaires, venus de France pour la presque totalité. Nous subissons aujourd'hui de la pénétration des jurons anglais, et l'esprit d'autrefois tend à disparaître. C'est toujours en anglais que nous jurons.

   JURIF. Jureur, blasphémateur.
   La finale en -if est assez fréquente, dans l'ancienne langue. On trouve antif pour antique (l'antif pople Deu), doutif pour douteur, volontif pour volontaire, brutif pour brutal, intellectif, imaginatif, hostif, apprentif, volif, sanitif, hontif, consolatif, blasphématif: «De ces écrits toujours avec ces blasphématifs ou adulatifs». (SULLY, Mémoires [des sages et rayales économies d'État de Henry le Grand]).
   On dit goulif pour goulu, aujourd'hui, en Anjou, et chaudif pour une personne qui transpire aisément.
   Jurif, en tout cas, a meilleure allure que jureur.
   JUSQU'À TANT [TEMPS] QUE. Jusqu'à ce que. Ne se dit guère plus aujourd'hui, mais se disait couramment dans l'ancienne langue, et même au XVIIe siècle, non seulement parmi le peuple et la bourgeoisie, mais aussi dans le style noble: «Il faut le prendre avec réserve jusqu'à temps que nous soyons prêts à recevoir tout son effet». (BOSSUET, Méditations sur l'Évangile, 48e jour).
   Antérieurement au XVIIe siècle, on ne disait, ni n'écrivait guère autrement: «Il dort sans aucun soin, jusqu'à temps que l'aurore / Le réveille au matin pour travailler encore». (RONSARD); «Jusqu'à temps qu'elle se casse». (MONTAIGNE); «Ne fut homme si hardi d'y toucher, jusques à temps que Charles eut commandé qu'ils fussent ensevelis». (BRANTÔME, [Vies des dames illustres], «Marie Stuart»); «On ne pouvait parler jusqu'à tant que la bonne dame feust revenue». (LA TOUR); «Et le dit Comte, qu'il ne réveilla jusques à temps que le matin veist le jour poindre». (Perceval); «Elinzois li proi ke il m'amende / Jusc'à tant kil oient la fin». (Dolopathos); «Jusqu'à tant que je vous recouvre». (SAINT-GELAIS, D'un oeil); «Jusques à tant qu'il sorte». (RABE-
LAIS); «Jusqu'à temps qu'il avra coillie / Sur la branche verte et foillie / La très bele rose vermeille». (Roman de la Rose).
   Jusqu'à temps que se décompose en jusque au temps que.

   JUSQUE. Nous disons avec La Bruyère ([Les Caractères] «de la Chaire»): «Jusqu'aux marguillers ont disparu», en supprimant qui.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.