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Q

   Q. Cette consonne semble superflue dans l'alphabet français, attendu que deux autres consonnes, c dur et k, rendent tous les sons qu'elle produit et même, pour ce qui est de k, les rendent plus directement. Qu'on écrive , par exemple, au lieu de quai, et l'on aura le même son. Précisons. Le lecteur, celui qui règle sa prononciation sur la graphie, donnera aujourd'hui le même son aux deux mots.
   Il n'en était pas ainsi à l'origine de la langue, pas plus qu'il n'en est ainsi dans le parler des Acadiens. se prononce au Conservatoire tel qu'écrit, mais quai, mot de provenance germanique, se prononçait à l'origine et se prononce ici comme le ce italien dans cicerone. Le qu s'infléchit tandis que est dur.
   Prenons un autre mot, marquis, prononcé marki par tout le monde. Villehardouin épelle le mot marchis. C'est le plus près que l'on puisse arriver de la véritable prononciation avec les notes de l'alphabet français. Nous écririons le mot martchi en Acadie sans parvenir nous non plus au ce du cicerone italien, qui est la véritable forme du mot: «Dans de nombreuses régions de la France, k se mouille devant ki, dans les mêmes conditions qu'au VIIe siècle de notre ère», nous dit Dauzat. Cette mouillure s'applique plutôt à qui et à cui qu'à ki.
   Au lieu de marquis, j'aurais pu prendre esquiver pour exemple. Nous disons estchiver, donnant à qui, rendu par stchi, le son du i dans le même mot italien cicerone.
   L'auteur du Roman de Renart écrit eschiver: «S'ongues par mal ne par haïne, / Si eschivé votre gésine», (Si jamais pour mal ou pour haine j'ai évité votre couche).
   J'aurais pu prendre aussi qui, pronom relatif. Les scribes qui ont noté
le Poème [de sainte] Eulalie écrivent: «Chi rex eret a cel dis (jour) sovre pagiens». Chi est mis ici pour qui et se prononçait également comme le ci de cicerone. En tout cas, c'est ainsi que nous le prononçons.
   Pour le peuple, qui ne sait (ou ne savait) pas lire, les sons entrent par l'oreille, naturellement, et se transmettent de père en fils, de siècle en siècle, sans altération de timbre. Pour les lettrés, c'est par les yeux qu'ils entrent, artificiellement, et les mots finissent par se prononcer tels qu'ils sont notés en écriture. C'est ainsi que quai en est arrivé à se prononcer et qui, ki.
   Brunot nous dit (vol. I, p. 448) qu'antérieurement au XIIe siècle on rencontre les graphies qui et tchi, et cela l'intrigue.
   De son côté Clédat (Gram. Elém.) constate que «cette gutturale était toujours suivie d'un u (elle l'est encore) dont le son précis n'a pas encore pu être parfaitement établi».
   Il est resté quelque chose de cette prononciation primitive, même chez les Parisiens. «De nos jours, à Paris, on entend un k différent dans cou et dans quai». (ROSSET, p. 313). Cette différence, ajoute-t-il, est impossible à noter par l'écriture.
   Prenons un autre mot: paquet. Paquet se prononce en Acadie exactement comme le mot latin pace par les Italiens.
   Les mots notés par qui, cui et quelques-uns par ki se prononcent aujourd'hui à l'Académie différemment de ce qu'ils se prononçaient au moyen âge; la graphie en a faussé le timbre. Turquie, pour fournir un autre exemple, s'est écrit Turchie.
   Dans certains mots, g et q se permutent: fatigue, par exemple, se prononce fatique en Acadie et fatiguer, fatiquer.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.