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R

   R. L[e] r final de l'infinitif des verbes de la seconde déclinaison ne se prononce par toujours en Acadie. Ainsi nous disons: quéri, moisi, durci, éclairci, épaissi, rétréci, blanchi, rafraîchi, réfléchi, dégourdi (se), grandi, rebondi, refroidi, reverdi, élargi, rougi, affaibli, amolli, embelli, pâti, dormi, blêmi, accroupi, couri, maigri, assombri, équarri, mouri, péri, choisi, saisi, applati, coti, démenti, consenti, converti (se), englouti, menti, parti, rôti, etc., au lieu de quérir, moisir, durcir, etc.
   Vaugelas prétend que ces r là ne se prononçaient pas, même dans la déclamation. C'est la graphie qui a fait revivre ces r étymologiques, aussi complètement morts au XVIe siècle dans les infinitifs des verbes de la deuxième déclinaison qu'ils le sont restés dans les verbes de la première: aimer, se figurer, etc.: «Dans les verbes qui se terminent en -er ou -ir, comme aimer, chérir, l'r ne se prononce jamais dans la conversation, ni devant une consonne, ni lorsque le verbe finit le sens». (RÉGNIER, chap. II, 154).
   Nous ajoutons quelquefois un r réitératif à certains verbes, comme le fait Ronsard dans cette phrase: «S'en ralla chacun en son lieu», et Villehardouin: «Pour s'en r'aler en leur pays». «Et vous commandons que vous en ralliez vers vostre séjour». (JOINVILLE). Nous disons: rembellir, ramasser, remplir pour embellir, amasser, etc.
   Cet r initial, en Acadie comme dans l'ancienne langue, s'ajoute à plusieurs autres verbes commençant par un a, tels que rapetisser, originairement apetisser, rajouter, etc.
   Dans d'autres cas, ra- se substitue à re-, comme dans rassasier, rafraîchir qui se disaient anciennement refreschir, resasier.
   Durant tout le XVIIe siècle, le r final ne se prononçait pas en France dans miroir, mouchoir, tiroir; nous ne le prononçons pas non plus.
   L[e] r est rarement roulé en Acadie, sauf dans certaines familles où ce timbre, inconnu aux autres langues, se transmet de père en fils.
   R tombe dans toujours, qui se prononce ici toujou. Il tombait également dans l'ancien parler.
   Parmi les Acadiens de l'Île-du-Prince-Édouard, la voyelle e se change en a devant la liquide r: tarre, mar, etc. pour terre, mer. Elle se muait de la même manière autrefois en France dans les mêmes mots.
   Le Dictionnaire donne mer et marin. Marin est une survivance. Marquer pour merquer en est une autre. Les Anglais disent farmer; nous disons farmier: «Le peuple a dit Piarre pour Pierre». (H. ESTIENNE); «Je le pansai, Dieu le guari». (PARÉ).
   L[e] r ne se fait pas entendre dans le corps des mots arbre, autre, concombre, dartre, emplâtre, livre, prêtre, vêpres, quatre, traître, etc., qui se prononcent âbre, aute, etc.
   Les deux liquides r et l se substituent souvent l'une à l'autre, surtout dans la langue parlée. Plusieurs en Acadie, aussi bien qu'au Canada, disent rabourer pour labourer, carculer pour calculer.
   Dans la vieille langue, on disait indifféremment Alger et Arger. Les Espagnols disent encore Argel. On trouve mérancolie pour mélancolie dans la vieille langue. M. Barbeau écrit, dans une chanson recueillie au nord du fleuve Saint-Laurent: «Rale en beauté» pour rare en beauté.
   Par contre, l[e] r s'est fait entendre en vieux français dans un mot: léger, où il est tombé aujourd'hui tant en France qu'au Canada. Nous l'avons conservé sonore en Acadie, aussi bien




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.