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TRAÎNE
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TRAITER

pour tasse. On l'emploie encore aujourd'hui dans ce sens [au] Poitou et [dans] d'autres endroits de France. Ceci pourrait expliquer ou, en tout cas, jeter quelque lumière sur la locution être en train pour être légèrement pris de vin. Une personne serait en train pour avoir vidé un trop grand nombre de tasses de vin:
«Le régal fut fort honnête; / Rien ne manquait au festin. / Mais quelqu'un troubla la fête, / Pendant qu'ils étaient en train». (LA FONTAINE, [Fables], Le Rat de ville et le Rat des champs).

   TRAÎNE. Traîneau. La grosse traîne sert l'hiver au charroyage du bois de chauffage, des billots, etc., la traîne ou traîne fine, aux personnes pour se promener.
   «Si les neiges sont assez hautes, ils donnent ordre qu'en chaque famille il se fasse des traînes de bois d'environ un pied de large et de huict de long, un peu courbées par le bout de devant». (SAGARD, 262, missionnaire chez les Algonquins, 17e siècle).
   Cette traîne, la tabagane des Canadiens et des Anglais, s'appelait traîne sauvage en Acadie.
   Chez les anciens, en France, la trayne était une sorte de charrette ou de grosse voiture. Le mot a signifié poutre ou soliveau, également: «On lui amenoyt sus une traîne à boeufs un faratz de patenostres de Sainct Claude». (RABELAIS). Un commentateur explique que traîne est ici une charrette traînée par des boeufs.
   George Sand appelle traînes les chemins creux du Berri, ceux qui sont encaissés entre deux haies.
   Nous avons pris à la langue maritime la locution à la traîne, à laquelle nous donnons le sens d'être en désordre, à l'abandon: Tout est à la traîne.
   Nous appelons aussi traîne l'os fourchu qui constitue la fourche de l'estomac d'une volaille et que les jeunes gens tirent jusqu'à le rompre. Celui ou celle qui reste avec le bout le plus court se marie le premier: «Quand on mange un poulet, deux personnes
à marier cassent l'aiguillet du milieu». (CORMEAU, Anjou). Les Canadiens appellent cette traîne ou cet aiguillet: crochet. C'est le wish bone des Anglais.
   Lorsque fut déclarée la guerre entre l'Angleterre et les États-Unis (1812) — «la guerre folle» — ceux des Acadiens qui étaient revenus en Acadie furent contraints à prendre les armes, ils appelèrent les exercices militaires, the training, qu'on leur fit faire, la traîne. Faire la traîne, c'était faire l'exercice militaire. Le mot est resté. «Traîne. Traîneau». (COTGRAVE).

   TRAÎNÉE. Contenu d'une traîne, d'un traîneau, en parlant des personnes.

   TRAÎNER. Aller en traîne.

   TRAÎNERIES. Objets qui traînent, en désordre.

   TRAIN-TRAIN. Même sens que train, mais ne s'applique qu'au ménage, au train de la maison.

   TRAÎTE. Traître. S'emploie souvent dans un sens ironique: Il n'est pas traîte à l'ouvrage, c'est un paresseux; Il n'est pas traîte pour aller à confesse, il y va rarement.

   TRAITE. Ronde à boire, consommation. De l'anglais treat. Cette expression est passée dans la langue, ou plutôt elle y revient, car les Anglais l'ont prise en France.
   «J'ai de nouveau percé mon tonneau, et de la traicte leur tirer, etc.». (RABELAIS, Pantagruel, Préface du liv. III, p. 202).
   Faire la traite avec les Sauvages, c'est échanger des marchandises contre des fourrures.

   TRAITER. Payer une ronde à boire, au cabaret. Ce mot, pris de l'anglais to treat, est entré tout à fait dans le vocabulaire de ceux qui lèvent le coude.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.