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UCHER
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UN

yeux sont les cils et les ussos, les sourcils. Le roman a également ussos pour sourcils. Pour revenir à la vieille langue, Cotgrave donne à uce le sens de sourcil. «Il (Crillon) eut une grande harquebusarde au dessus de l'husse de l'oeil». (BRANTÔME, [Vies des hommes illustres et des grands capitaines], «De l'Infanterie française»); «Ces poux espagnols... avoyent pris un domicile évident dans les usses et le rond des cheveux». ([D']AUBIGNÉ. Confession de [M. de] Sancy).
   Peletier, au XVIe siècle, propose d'introduire dans la langue des «honnêtes gens» le mot poitevin uses pour sourcils.
   Jaubert (Glossaire du centre de la France) nous dit que faire les uses, c'est froncer les sourcils.
   Il résulte de cette enquête, sans qu'il soit besoin de fournir d'autres preuves, que les usses ou uces ne sont pas les yeux, mais plutôt l'arcade sourcillière des yeux tel que nous l'entendons en Acadie.
   Oeil et yeux viennent de oculum et de oculos. D'où vient uces? De ostium, je crois, le même ostium (porte, entrée, en français) qui nous a donné huis, huissier.
   On trouve us pour porte dans la Vie de s[aint] Gilles: «Riches us de ciprès». Jaubert nous apprend que usses et ussies s'emploient pour portes cintrées en Touraine.
   Je pourrais trouver d'autres exemples à l'appui.
   Rapprochement assez singulier. Jacques Cartier (ler voyage, 1534) nous dit que dans le langage des aborigènes, apparemment ceux de Terre-Neuve, les sourcils se disent anse.

   UCHER. Nom propre: Eucher. On prononçait ucher à Paris au XVIIe siècle en faisant sonner l[e] r comme il sonne ici. Eu, dans l'ancienne langue, se prononçait communément, peut-être toujours, u.

   UGÈNE. Nom propre: Eugène. On prononçait Ugène à Paris au XIIe siè-
cle. Et aussi, comme nous le faisons: Ugénie.

   UN. Fém.: eune: un chapeau; eune belle femme; «En France, on prononce in pour un». (RAMBAUT, Précis). Les Normands disent comme nous, eune: témoin ce quatrain: «Mein doux Jésus du firmament, / Je ne demande point forteune, / Mais mettez-moi tant seulement / Auprès de quelqu'un qu'en ait eune». L'habitant canadien également dit eune pour une.
   À la fin d'une phrase, c'est yien que nous disons: N'y en a plus rien qu'yien; J'en veux yieune.
   Tout ceci, c'est de l'ancien français de France, et pas très ancien encore. Ce timbre s'est conservé en Anjou et, je crois, en Berri et en Touraine.
   Molière ([Le] Médecin malgré lui) met ce son dans la bouche de Jacqueline: «Il y a eun oncle qui est si riche, dont il est hériquié»; «Eun homme qu'alle n'aime point». Montaigne met un apostrophe après le mot: «Un' espée particulière; Un' âme à la vieille marque».
   Nous disons pas un pour aucun, comme le faisait Madame de Sévigné: «Je vous supplie de me croire autant dans vos intérêts que pas un de vos amis».
   Certains grammairiens ne veulent pas qu'on emploie un en parlant de plus que de deux personnes. Ce canon grammatical n'a jamais été mis en vigueur ici, ce qui fait que nous disons avec Molière ([Les] Précieuses ridicules): «Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la Comédie»; et avec Pascal ([Les Provinciales] IIe Provinciale): «L'un des principaux points de votre défense».
   Dans l'ancienne langue, un exprimait souvent une idée d'égalité, de comparaison. Nous avons conservé ce sens. Nous disons: Ils sont d'un âge pour ils sont à peu près du même âge. Citons quelques exemples pris parmi les meilleurs auteurs: «Ils estoyent (François ler et Henri VIII) presque d'un âge et de même complexion».




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.