page



Y

   Y. Cette lettre nous vient de la Grèce, comme son nom l'indique; c'est tantôt une voyelle et tantôt une consonne. Comment les Romains la prononçaient-ils au juste? Nous ne le savons pas. Même en France et ici, elle ne se prononce pas tout à fait de la même manière dans tous les mots.
   Ce subjonctif de Montaigne: «Nous n'avons de nouvelles que de deux ou trois anciens qui ayent battu le chemin», les maîtres d'école et certains Académiciens le prononcent ai ou è. Nous autres, le peuple de France et d'Acadie, nous disons: aye ou eille, faisant du y ce que les linguistes appellent un yod palatal, une véritable consonne.
   Un y s'est préfixé à oculum dont il a fait le pluriel français yeux, des yeux, son très doux à l'oreille. Nous l'accouplons, dans certains cas, à l'adjectif numéral un: Je n'en ai pas trouvé yin de bon; Donne m'en yin; Nous disons aussi: C'est yelle pour c'est elle. Y remplace ici, le t euphonique ordinaire et sert de tampon. Tout ceci est de l'ancien français populaire. On le trouve même dans la langue écrite, comme dans la scène III de La Noce de village de Rosimond, où le mot est épelé yeun, yeune.
   Un est l'un des rares mots de la langue française que l'on retrace jusqu'à l'indo-européen. Sans doute le français a formé un sur unum, mais le populaire, où a-t-il pris yun?
   Le populaire de France, même les bourgeois, même les lettrés, laissaient tomber le l du pronom personnel il, qu'ils prononçaient i, rendu quelque fois par y: Y court; Y vient; Y m'a dit. Cette manière s'est conservée en Acadie, où le l du pronom ne se fait jamais entendre devant une consonne. Le peuple de France dit comme nous, témoin ces vers de G. Nigond: «Le petit Jésus s'prend à pleurer, / Ma
cher' fill', chaque fois qu'y vous regarde».
   La restauration du l, dans la prononciation de il, est l'oeuvre des grammairiens et plus particulièrement de H. Estienne. Y se dit aussi pour lui: Parle-y. Le peuple de certains départements de France dit comme nous.
   L'on prononce aujourd'hui en France, dans certains milieux, pément ou paiment pour payement. Molière et ceux de son temps, à la cour aussi bien que chez le peuple, faisaient comme nous le faisons ici, ces mots de deux syllabes: «Mais elle bat ses gens et ne les paye point». Il n'y a pas à s'y tromper. Pour remplir la mesure, il est nécessaire ici que paye donne deux pieds métriques: pai-ye.
   Citons quelques autres exemples. Molière seul en pourrait fournir un grand nombre.
   «Combien que nos ennemis n'y ayent eu égard». (BRANTÔME); «La faim, le froid, les coups, les dédains et l'injure, / Payement coutumier du service des roys». ([D']AUBIGNÉ); «Je crois que cela essaye (éprouve) merveilleusement le malade». (MONTAIGNE).
   Cette manière de prononcer aie ou aye n'a pas totalement disparu en France. Les poètes au moins l'ont conservée: témoin ce vers de Lamartine, (Nouvelles méditations [poétiques]: «Les vents balayeront leur poussière infectée»; et ceux-ci de Rostand, (l'Aiglon, acte II, scène IV): «Je crois que l'écouteur que la police paye lui vole son argent et qu'il est dur d'oreille».
   L'Académie, il est vrai, admet indifféremment paiera, paira et payera, mais l'on prononce presque universellement, aujourd'hui en France chez les lettrés, paira ou péra.
   Il en est de même, et à plus forte raison, de oi et oye qui fournissent deux




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.