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Y
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YOUSQUE

syllabes. La Noue le dit expressément: «Dans soye, ye forme une syllabe où s'exprime entièrement l'y et l'e, indépendamment de la syllabe précédente».
   Dans cette phrase de Dolopathos: «Cil voient kil me parleroit», voient donnait, sans doute, comme il donne ici, deux syllabes, voy-ent. Dans tous ces mots, l[e] y ou l[e] i, qui le remplace, se fait entendre dans le parler des Acadiens.
   Les poètes modernes se prévalent souvent de cette prononciation du populaire, tantôt pour la mesure du vers et tantôt pour la rime: «Au fond de l'âtre creux flamboyent quatre souches». (LECONTE DE LISLE, Poèmes tragiques).
   Il en est de même des verbes où entre la syllabe oye, qui le plus souvent, s'écrit oie, aujourd'hui: «Ils ne veoyent aultre moyen». (BOÉTIE); «Quand le beau temps voyent / Pastoureaux s'esjoyent / Chantent et festoyent, / Et n'est esbas qui ne soyent / Entre leurs déduis». (GRÉBAN, Le Mystère de la Passion); «Il n'est point âme si chestive et si brutale en laquelle on ne veoye reluire». (MONTAIGNE).
   Y se dit quelquefois pour lui: J'y ai dit de venir; J'y ai mandé de rester; Je vais y demander; Tu y diras ça; Vous y direz de ma part. Cet y est une déformation de li, pronom fort à la mode dans l'ancienne langue: «Et dit qu'il li rendra sa tierre (terre)». (MOUSKÈS, Chronique [rimée]); «Et li avoit dit que il vouloit parler à li». (JOINVILLE); «Li dus errant li demande, comment ces maus li est venu». (Le Châtelaine de Vergy).
   J'ai aussi entendu: Vas yeux dire qu'ils s'en viennent.
   Nous remplaçons souvent le pronom impersonnel il par y comme dans cette phrase de Joachim du Bellay: «Longtemps y a que le prix est gaigné»; ou dans cette autre de Rabelais: «De ce travail y ne leur souvient»; ou dans cette autre encore du même auteur: «Au lieu de vigne y avoit du lierre». [D']Aubigné écrit: «De toutes les pièces y avoit quatre copies en parche-
min». Cette manière de dire s'est conservée en Acadie.
   Y sert aussi très souvent de formule d'interrogation, comme dans ce vers de Gabriel Nigond, poète contemporain: «Je suis-ty pas sage?» Je suis-ty tient ici la place de: ne suis-je pas?
   Dans les phrases interrogatives: Vient-y? Va-t-y venir, y tient lieu de il, l[e] l final tombant.
   Le véritable l mouillé, cher à Littré, n'a jamais régné en Acadie, ni au Canada ni, je crois, non plus chez les illettrés de France; un y le remplace: famille, fille, gentille se prononçant famye, fiye, gentiye.
   L[e] l mouillé de Littré est en frais de disparaître en France, même à l'Académie.
   Dans les chansons populaires, on trouve une grande quantité de y dont il est assez difficile d'expliquer et surtout de justifier la présence. Il s'ajoute, comme explétif surtout, après les pronoms je, me, te, se: Mon père m'y maria; Le soir en m'y promenant; Le lendemain la belle s'y leva; «Mon très cher père, m'y laisserez-vous noyer? / Ah! non, Hélène, je vais vous y sauver. / Son frère s'y dépouille; dans la mer s'est jeté».
   Il ne faudrait pas croire que tous ces y soient un produit du Canada et de l'Acadie; on les trouve en France aussi abondants qu'ici: «Tes anneaux s'y rompirent en t'y serrant les doigts». (Chanson normande); «Monsieur le curé, cirez vos bottes, / Pour venir m'y marier; / Car dans mon coeur l'amour galoppe, / Comme les rats dans un grenier». (VERRIER [et ONILLON], Glossaire [des patois et des parlers] de l'Anjou); «C'est la belle Françoise, allons gai, / C'est la belle Françoise, / Qui veut s'y marier, maluron, lurette», etc. (Vieille chanson de France); «Mon coeur est tout endormy. / Resveille-moi, belle, / Mon coeur est tout endormy, / Resveille-le my». (MAROT).

   YOUSQUE. Contraction de où est-ce que: Yousqu'il est?, où est-il?




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.