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ZIRE
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ZIREUX

   Ce mot est d'un usage universel dans le parler des Acadiens, et sa signification de chose dégoûtante est constante. D'où vient-il? De quoi est-il formé? Comment se fait-il qu'on ne le rencontre pas dans les écritures? C'est un mot qui nous vient assurément de France et qu'on employait couramment dans la Touraine et dans le Berri, au commencement du XVIIe siècle, puisque nous l'employons couramment ici. Son allure lui assigne une origine populaire, ce qui veut dire en l'espèce tudesque, nordique ou celtique, quoiqu'il soit possible aussi qu'il sorte du mot latin ira, colère, en vieux francais, ire.
   Le mot ire, désuet aujourd'hui, était autrefois d'un emploi universel. On le trouve dans tous les vieux auteurs, même dans la Chanson de Roland: «Co, dist Rollant, por quei me portez ire?» (v. 1722); «Salemons dit qu'onc ne fu teste / Sur teste de serpent cruiuse / Ne viens de fame plus ireuze» (colérique). ([JEAN] DE MEUNG, [Roman de la Rose], «Viellèce», XIIIe s[iècle]); «S'en fu Vulcanus plus irez». (R[oman] de la Rose, v. 14177); «Mais ire survint le deuxième jour, quand l'Aigneau se rendit à la maison de son Père». (MAILLARD, Passion de N. S.).
   Et plus récemment: «Pourraient-ils voir du ciel, sans ire, et sans horreur...». ([D']AUBIGNÉ, [Les Tragiques], «Jugement»).
   Dans tous ces cas, ire se prononce zire, à cause du s qui le précède. Le mot n'a pas besoin d'être précédé du tampon euphonique z ou s dans le parler des Acadiens. Ils disent: J'ai zire; il fait zire; ça me fait zire.
   Ce qui rend ire improbable comme radical, c'est que, dans tous les exemples que j'ai pu trouver, il signifie colère. Dans aucun cas, je ne lui découvre le sens de dégoût. La sémantique, dans la recherche de la paternité des mots, pèse toujours d'un grand poids.
   On ne saurait non plus, raisonnablement, rattacher zire à hira, qu'on trouve dans Plante [Plaute] avec le sens d'intestin, ni avec hire, d'où La Hire, qui signifiait terreur, horreur.
   Le roman a azira pour haine, aziros pour irrite et azirar pour haïr. Nulle part je ne trouve à ce mot le sens de sale, de dégoûtant.
   D'autre part, le haut allemand avait zahi pour boue, fange, bourbier. Si j'avais à opter pour le choix d'un radical à zire, je choisirais zahi.

   ZIREUX. Écoeurant (voir zire).




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.