comparée. Dans la préface de son volume, il précise clairement l'objectif visé: «Les langues dont traite cet ouvrage sont étudiées pour elles-mêmes, c'est-à-dire comme objet, et non comme moyen de connaissance». Il convient d'ajouter que la grammaire comparée a été directement à l'origine de la linguistique historique ou diachronique, philologie et histoire de la langue. Or, à l'époque où P. Poirier publia ses oeuvres, soit en pleine Renaissance acadienne (si l'on retient les dates 1864-1930), se constitue en France une brillante école de philologie qui exerça une influence considérable par des travaux remarquables que l'on consulte encore, et dont les plus illustres représentants sont G. Paris, F. Brunot et A. Meillet. La philologie française était bien connue au Québec, et un célèbre philologue québécois, Adjutor Rivard, fit des recherches sur le français du Québec et publia notamment ses
Études sur les parlers de France au Canada (1914). Il mena lui-même une activité lexicographique et dialectologique, puisqu'il fut secrétaire de la Société du parler français au Canada, créée en 1902, et qu'il collabora à la rédaction du
Glossaire du parler français au Canada (1930). P. Poirier le connaissait et entretenait avec lui des relations épistolaires. Mentionnons qu'A. Rivard écrivit un compte rendu du
Parler franco-acadien et ses origines (1928).
C'est à cette époque que la linguistique se développe comme science véritable. À l'essor de la linguistique sont associés les noms de Ferdinand de Saussure, de N. Troubetzkoy et du Cercle de linguistique de Prague. À la différence de ses prédécesseurs qui privilégiaient l'étude historique et l'évolution du langage, Saussure étudie les langues dans leur fonctionnement, ici et maintenant. À une étude diachronique de la genèse, il oppose une étude synchronique du système. Il formule une théorie du signe linguistique. En 1926-1928, alors qu'il appartient au Cercle linguistique de Prague, Troubetzkoy, poursuivant la recherche des unités pertinentes de la chaîne parlée entreprise par Saussure, pose le principe de l'existence du phonème comme unité de base, et fonde la
phonologie
. Ses décou-vertes se trouvent réunies dans un volume publié en 1939 et intitulé
Principes de phonologie.
Alors que la phonologie analyse la chaîne parlée jusque dans ses plus petites unités, les unités distinctives, la lexicologie s'intéresse aux unités signifiantes, les unités lexicales. Parallèlement, sans être vraiment intégrés dans le mouvement de la linguistique naissante, les lexicographes ont continué, à la fin du XIX
e siècle, leur long travail sur les unités lexicales du français. Rappelons que la lexicologie s'attache à l'étude de la formation et du sens des mots. À la différence des unités grammaticales dont le nombre est relativement stable et figé, il faut voir les unités lexicales comme un ensemble ouvert. La lexicographie, qui relève à son tour de la lexicologie, est, pour reprendre une définition de J. Dubois, «la technique de confection des dictionnaires et l'analyse linguistique de ces derniers
8». Certes, il y a en France une tradition lexicographique qui remonte jusqu'au XVI
e siècle comme le montre B. Quemada,
les Dictionnaires du français moderne, 1539-1863 (1968), mais on assiste à la fin du XIX
e et au début du XX
e siècle à un essor remarquable de la lexicographie avec la publication des dictionnaires de L. Bescherelle (1845-1846), d'É. Littré (1859-