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Le Glossaire acadien ou le roman d'un parler régional
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1872, supplément en 1878), de P. Larousse (1866-1876), d'A. Hatzfeld et A. Darmesteter (1890-1895). À cette époque, l'intérêt pour l'étude des parlers régionaux et des patois commence à se manifester en France, et l'on peut mentionner comme exemples les ouvrages de H. Beauchet-Filleau sur le patois poitevin (1864), de A. Delboulle sur le parler de la vallée d'Yères (1876-1877), et de H. Moisy sur le patois normand (1887). En outre, J. Gilliéron, avec la collaboration d'E. Edmont, mène une vaste enquête dialectologique (questionnaire comportant 2 080 mots et petites phrases administré en 639 points d'exploration) qui aboutit à la réalisation de l'ouvrage intitulé Atlas linguistique de la France (1900-1910), et qui donne naissance à une nouvelle discipline, la géographie linguistique9. L'oeuvre la plus remarquable de cette nouvelle science est le volume de J. Gilliéron, la Généalogie des mots ayant désigné l'abeille (1918). Paradoxalement, on ne se permettait pas de faire de telles choses au Québec et en Acadie. Dans un récent article intitulé «Problématique d'un dictionnaire général du français québécois», André Cossette décrit la situation de la lexicographie québécoise à cette époque:

   L'illégitimité chronique de la langue parlée au Québec est bien illustrée par son histoire lexicographique dont la trame essentielle réside depuis au moins 125 ans dans la production de répertoire de «fautes». [...] Toutes les productions lexicographiques québécoises, qu'elles soient de type normatif ou descriptif, ont été conçues dans une perspective différentielle qui isole dans la langue des locuteurs les mots, les sens, les syntagmes ou les expressions qui diffèrent de l'usage français10.

     Trois ouvrages cependant doivent être signalés pour l'importance de leur inventaire. Le premier est le Dictionnaire canadien-français11 de Sylva Clapin, paru originellement en 1894, que P. Poirier cite fréquemment. Ce volume dépasse le cadre d'un simple dictionnaire par des considérations préalables sur «la phonétique et les formes du franco-canadien», pour reprendre les mots mêmes du lexicographe, et par un appendice thématique où sont regroupés par catégories les «substantifs employés le plus communément au Canada». La partie même du dictionnaire comporte 4 136 entrées avec de nombreuses références à des auteurs. Le second ouvrage, intitulé le Parler populaire des Canadiens français de Narcisse-Eutrope Dionne, publié à Québec en 1909, comprend, selon les mots mêmes de la «Préface», des «canadianismes, acadianismes, anglicismes, américanismes, mots anglais les plus en usage au sein des familles canadiennes et acadiennes françaises12». Ses articles (environ 15 000 mots et expressions inventoriés) sont inconstants; beaucoup sont même très succints, ne donnant au régionalisme relevé, comme élément de définition,


9.   À ce sujet, il y a lieu de citer le volume d'Albert Dauzat intitulé précisément la Géographie linguistique, publié en 1922 (Paris, Flammarion).
10.   André Cossette, «Problématique d'un dictionnaire général du français québécois», Revue québécoise de linguistique théorique et appliquée, vol. 7, no 1, janvier 1988, p.79.
11.   Sylva Clapin, Dictionnaire canadien-français, Québec, Presses de l'Université Laval, [1894] 1974.
12.   Narcisse-Eutrope Dionne, «Préface», le Parler populaire des Canadiens français, Québec, Presses de l'Université Laval, [1909] 1974, p. VI.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.