Notre professeur, excellent religieux, me demanda, un jour de composition, où j'en étais de mon discours français, s'il était terminé.

    «– Pas tout à fait, mon Père, mais il avance par les petits.

   – Par les petits! Qu'est-ce que c'est que ce baragouin-là?»

   Je demeurai court, rougissant jusqu'aux oreilles.

    «– Mais nous disons comme ça, par ici, pour: ça avance petit à petit, graduellement.

   – Dites, 'un petit peu', et tâchez de parler français la prochaine fois.⁵⁶»

L'événement fut décisif, il suscita une vocation de chercheur. Le jeune Poirier réagit avec fierté et se donna comme mission de défendre l'honneur de sa région, principalement de sa langue, d'où, selon ses propres mots, «l'idée de réhabiliter [...] le parler acadien⁵⁷. En somme, afin de redonner aux siens un sentiment de fierté linguistique, il décida de prouver que le parler franco-acadien tire ses origines directement de la vieille langue française, dont il a gardé intacts de très nombreux éléments. Dans plusieurs de ses articles, l'auteur présente les titres de noblesse du parler acadien. C'est une déclaration en ce sens qu'il effectue dans «La langue acadienne» (1886):

   L'idiome que parlent les Acadiens est une des branches les plus fécondes et les mieux conservées de la langue d'oïl. C'est identiquement la langue qui se parlait au seizième siècle, et qui se parle encore aujourd'hui, dans l'Ile-de-France, dans le Maine, la Touraine, l'Orléanais, la Champagne⁵⁸.

C'est un point de vue semblable qu'il adopte dans «La langue que nous parlons» (1915):

   La langue que nous parlons est celle-là même que nos pères ont apportée de France, lorsqu'ils sont venus, dans la première moitié du XVII^e siècle, s'établir à Port-Royal.

   [...] Tout a changé dans notre belle patrie, à l'exception de nous-mêmes, de la religion que nous pratiquons et de la langue que nous parlons.

   Celle-ci, à la date de la Confédération canadienne, n'avait pas varié, depuis les premiers temps⁵⁹.

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56.   P. Poirier, «Préface», le Parler franco-acadien et ses origines, p. 7-8.
57.   P. Poirier, «Préface», le Parler franco-acadien et ses origines, p. 7-8.
58.   P. Poirier, «La langue acadienne», Nouvelles Soirées canadiennes, vol. 5, mai 1886, p. 63.
59.   P. Poirier, «La langue que nous parlons», l'Assomption, vol. 6, n^o 2, février 1915, p. 1-2.