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Le Glossaire acadien ou le roman d'un parler régional
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d'ordre morphologique et syntaxique: adverbe, article, conjugaison, datif, génitif, genre, grammaire, superlatif, syntaxe. Enfin, il faut mentionner des articles plus proprement lexicologiques: analogie, catachrèse, néologisme, numération. Le troisième d'entre eux confirme l'attention que l'auteur porte à la spécificité de la variété régionale et aux divers processus de formation lexicale. Cependant, afin d'appuyer sa thèse sur les origines anciennes du lexique acadien, il tient un jugement qui nie tout dynamisme à la langue régionale qu'il estime presque dépourvue de renouvellement lexical, la limitant donc à un état de survivance, et se prononce d'une manière semblable sur le franco-québécois: «Les Acadiens, ni non plus les Canadiens [entendre: les Québécois], n'ont guère créé de mots nouveaux». Il désigne par néologisme tout mot ou expression qui n'est pas d'origine ancienne, et qui est installé dans le lexique acadien76. Il considère que la plupart des créations lexicales acadiennes ont subi un processus de formation sémantique, «néologismes de sens, formés par analogie», ou proviennent d'emprunts. On constate que l'auteur a un jugement beaucoup plus nuancé sur cette question dans le Parler franco-acadien et ses origines, où, après avoir relevé une trentaine de créations lexicales acadiennes, il affirme la nécessité pour la langue régionale d'avoir des mouvements lexicaux:

Nous voici en présence d'une trentaine d'expressions nouvelles, ou tout au moins étrangères au français académique. Est-ce une langue neuve qui s'élabore? Pas précisément: c'est une langue qui évolue. Notre langue étant vivante a le droit inhérent, absolu, d'élargir le sens de ses vocables, de le rétrécir, de le changer; de créer des mots nouveaux, d'en prendre à droite et à gauche, de prendre son bien chez ses voisins. Toute langue qui n'exerce pas ce privilège est stérile et mourante77.

     Le lecteur du Glossaire acadien remarque aussi le faible nombre d'anglicismes lexicaux retenus par l'auteur78. Il y a lieu de mentionner qu'à l'époque de P. Poirier, on remarquait déjà que les locuteurs acadiens faisaient un grand nombre d'emprunts lexicaux à l'anglais, qu'une écrivaine comme Émilie C. LeBlanc79 en a beaucoup employé, et que lui-même les a combat-


76.   On a tendance actuellement à restreindre le sens du mot néologisme à la phase initiale de la formation d'un nouveau mot, celle qui précède son installation dans la langue. L. Guilbert est très explicite au sujet du néologisme d'emprunt: «Selon notre conception, un terme d’origine étrangère cesse d'être néologique à partir du moment où il est entré dans le système linguistique de la langue d'accueil, c'est-à-dire quand, précisément, il cesse d'être perçu comme terme étranger» (la Créativité lexicale, 1975, Paris, Larousse, p. 95).
77.   P. Poirier, le Parler franco-acadien et ses origines, p. 268.
78.   Telle est l'opinion de Gaston Dulong: «L'anglicisme affecte toutes les parties du vocabulaire, même celles que l'on croirait les mieux protégées. Le Glossaire acadien de Pascal Poirier ne laisse pas soupçonner la place importante de l'anglicisme dans la langue acadienne et bien des éducateurs ne semblent pas se rendre compte du problème» («Rapport de l'enquête linguistique faite à Cap-Pelé, N.-B.», dans Annual Report of the National Museum of Canada for the fiscal year 1955-1956, Ottawa, 1957, no 147, p. 65-66. 79.   Voir, plus particulièrement, le «Glossaire» de la langue de Marichette que nous avons établi: Pierre Gérin et Pierre M. Gérin, Marichette Lettres acadiennes (1895-1898), Sherbrooke, Naaman, 1982, p. 245-290.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.