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Le Glossaire acadien

tus80. Il faut cependant noter que P. Poirier a une attitude très nuancée à l'égard de l'emprunt, car il reconnaît et affirme la nécessité pour une langue d'emprunter des mots à d'autres langues; cette prise de position se manifeste dans un article intitulé «La langue française et les anglicismes81» (1880) et dans plusieurs autres écrits. On voit clairement la manière dont l'auteur considère les anglicismes dans le 21e chapitre du Parler franco-acadien et ses origines (1928) qui s'intitule précisément «L'anglicisme». Il admet que l'emprunt constitue un des modes de création lexicale importants en français comme dans les autres langues, mais il distingue les emprunts nécessaires des emprunts inutiles:

Chacun des corps de métier emprunte aujourd'hui de l'anglais les mots qui lui manquent. Ceux-ci sont justifiables, étant nécessaires. Nous en empruntons d'autres, parce qu'ils sont plus expressifs et plus directs, mais sans raison justifiable aucune. [...] Ces emprunts de mots nécessaires, sont en somme de bonne guerre. Loin d'appauvrir la langue, ils sont plutôt de nature à l'enrichir [...]82.

Il ajoute que le phénomène de l'emprunt linguistique obtient de meilleurs résultats, qu'il devient un véritable enrichissement, quand il conduit à ce que nous appelons aujourd'hui l'installation et l'intégration des emprunts lexicaux:

   Les emprunts des mots sont un peu comme les emprunts d'argent: s'ils sont faits avec discrétion, ils peuvent s'incorporer au capital et le faire fructifier. [...]

   Pour faire d'excellents sujets de ces mots d'emprunt, il suffit qu'on leur enlève leur vernis exotique, qu'on les débarbouille, qu'on les habille de suffixes français, qu'on les dégasconne comme disait Malherbe. [...]

   Chaque fois qu'un mot étranger a passé par le peuple avant d'entrer au dictionnaire, il se présente en bonne tenue; ses traits sont plaisants; ses contours arrondis; son port est gracieux; la coupe de ses vêtements est du bon faiseur [...].

   Les mots que nous prenons de l'anglais tout ronds, tels que la graphie nous les donne, arrivent estropiés, grima-


80.   On doit citer ces phrases de P. Poirier extraites du Parler franco-acadien et ses origines, qui constituent un véritable cri d'alarme au sujet de la pénétration des anglicismes dans le parler acadien et un appel au combat: «L'altération profonde que subit en ce moment, sous la pénétration presque violente de l'anglais, l'antique parler acadien, n'est pas nécessairement une transformation de l'idiome, mais c'en est le commencement. Il y a pour nous danger en la demeure» (p. 268); «Nous glissons sur une pente, Annibal est à nos portes» (p. 270); «Il n'y a pas à se le dissimuler: notre belle langue française est menacée, en Acadie, et aussi, quoique moins sérieusement, chez les Canadiens de la Province de Québec [entendre: les Québécois]. M. Tardivel avait raison; l'ennemi c'est l'anglicisme» (p. 282).
81.   P. Poirier, «La langue française et les anglicismes», l'Opinion publique, vol. 11, 28 mars 1880, p. 134, col. 2-3.
82.   P. Poirier, «L'anglicisme», le Parler franco-acadien et ses origines, p. 274-275.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.