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Le Glossaire acadien ou le roman d'un parler régional
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çants, tirés par les yeux. Ce sont des monstres, pour la plupart83.

Les mots d'origine anglaise modifiés et adaptés par les locuteurs acadiens, puis installés dans le lexique acadien, sont donc ceux qui ont la préférence de l'auteur. Trois d'entre eux que P. Poirier donne comme exemples dans plusieurs de ses travaux84 doivent être cités: assouer, sévère et sévérer. Il y a lieu d'ajouter que le dernier exemple est un dérivé par suffixation du substantif précédent, ce qui confirme l'intégration lexicale de ce dernier85.

     Il faut aussi noter que, dans le Glossaire acadien, l'auteur a donné le statut d'entrées lexicales à des emprunts acadiens aux langues amérindiennes. On a pu voir qu'une liste de «mots souriquois, micmacs et abénaquis» entrés dans le parler franco-acadien devait figurer en appendice à l'ouvrage (section manquante). P. Poirier a été sensible à l'influence des langues amérindiennes sur le français. En 1916, il publie, dans les Mémoires de la Société royale du Canada, une étude intitulée «Des vocables algonquins, caraïbes, etc., qui sont entrés dans la langue86». Celle-ci a été reproduite, d'une manière abrégée, dans le 22e chapitre du Parler franco-acadien et ses origines, sous le titre «Des mots indiens qui sont entrés dans le vocabulaire acadien87». L'auteur effectue tout d'abord des considérations générales et historiques qui contiennent un certain nombre de lacunes et d'erreurs. Il affirme que les langues aborigènes et les langues européennes n'ont exercé aucune influence les unes sur les autres:

   Les mots sauvages [entendre: amérindiens] qui sont entrés dans le vocabulaire des Français d'Amérique, Canadiens, Acadiens et Louisiannais [sic], sont peu nombreux. On peut aller jusqu'à dire que la langue des aborigènes n'a exercé aucune influence sur celle des Européens. Ceci peut paraître étrange [...]

   Fait curieux et apparemment unique dans l'histoire de l'évolution des langues: ni le français, ni l'anglais, n'ont, de leur côté, non plus, exercé d'influence, ni laissé de traces perceptibles, dans le parler des aborigènes soumis à leur domination. La langue des vainqueurs et celle des vaincus sont venues en contact, sans jamais déteindre l'une sur l'autre, sans jamais pratiquer d'échange, sans jamais se mêler. [...]


83.   Ibid., p. 278.
84.   Voir plus particulièrement l'article néologisme du Glossaire acadien, les articles correspondants aux mots cités dans cet ouvrage, et les pages 271-282 du Parler franco-acadien et ses origines.
85.   L. Guilbert a examiné, parmi les critères d'intégration des mots étrangers, les critères morpho-syntaxiques: «Un mot étranger, dès le moment où il sert de base à une dérivation selon le système morpho-syntaxique français est véritablement intégré à notre langue» (la Créativité lexicale, Paris, Larousse, 1975, p. 97).
86.   P. Poirier, «Des vocables algonquins, caraïbes, etc., qui sont entrés dans la langue», MSRC, série III, t. X, 1916, p. 339-364.
87.   P. Poirier, «Des mots indiens qui sont entrés dans le vocabulaire acadien», le Parler franco-acadien et ses origines, p. 283-291.




Source : POIRIER, Pascal. Le Glossaire acadien, édition critique établie par Pierre M. Gérin, Moncton, Éditions d'Acadie; Moncton, Centre d'études acadiennes, 1993, 500 p.