Or, les articles de l'auteur se caractérisent par leur présentation désordonnée: des éléments d'information sont souvent absents et ne suivent aucun classement. Ainsi, une remarque d'ordre phonétique figure parfois à la suite de l'entrée, mais la catégorie grammaticale est très rarement indiquée. L'étymologie n'est pas précisée d'une manière succincte: elle fait l'objet d'une assez longue remarque, car, comme nous l'avons vu, c'est surtout le rattachement du mot acadien à une forme ancienne et/ou dialectale française que vise à entreprendre P. Poirier. Ce dernier toutefois introduit fréquemment un autre type de renseignement, la localisation géographique plus ou moins précise de l'unité: il a été très sensible à l'importance de la variation régionale au niveau lexical, en Acadie. On peut citer comme exemples ces mots qui, selon lui, sont employés aux Îles-de-la-Madeleine,
chaîner, à l'Île-du-Prince-Édouard,
pincan, et en Nouvelle-Écosse,
foulerie. S'il distingue les divers sens des mots, il ne les présente pas selon un ordre numéroté, ni selon une progression logique allant du sens propre au sens figuré et proposant une analyse sémantique lexicale en éléments hiérarchisés. Dans de très nombreux cas, la définition fait place à un long commentaire sur l'unité mise en vedette.
Il est une convention, adoptée par la pratique lexicographique, selon laquelle le lexicographe s'efface devant l'unité lexicale, objet de l'étude, d'où le recours au minimum de mots dans la définition, à des tours impersonnels avec exclusion du verbe et surtout à une équivalence entre la définition et l'unité à définir, comme le montre bien L. Guilbert:
[...] L'article [de dictionnaire] est un commentaire ordonné du mot présenté hors discours. Ce commentaire se fait, en outre, en phrases construites selon une syntaxe spécifique, dont les traits sont la suppression du verbe, l'identité catégorielle entre le terme sujet et le terme de définition, une succession contraignante des déterminations constituant la proposition définitoire99.
Maintes définitions de P. Poirier ne comportent aucun verbe. Dans de nombreux cas cependant, afin de poser une équivalence sémantique avec l'unité à définir, la définition est précédée du verbe
est ou du tour
c'est. Fréquemment, dans sa définition, le lexicographe fait appel à l'usage, et a recours à un participe, «entendu», ou à une forme pronominale, «se dit», «s'emploie», ou encore au pronom indéfini «on», qui permettent ensuite de délimiter l'aire d'utilisation de l'unité et qui fournissent une preuve de son authenticité. Ce recours à l'usage se retrouve aussi dans l'emploi du pronom sujet «nous», très souvent utilisé avec «disons», et dans des déclarations où l'auteur fait intervenir le peuple et ses fondateurs: «les Acadiens disent», «nos aïeux disaient». Un des grands mérites de P. Poirier est d'avoir colligé des milliers d'exemples régionaux, auxquels il oppose des exemples tirés d'anciens auteurs français ou d'écrivains régionaux. On voit là sa vaste érudition et son inlassable esprit de recherche. Il se montre malheureusement inconstant, et n'indique pas d'une manière précise ses références, il les omet parfois totalement, ou les abrège, ce qui complique la vérification et la correction de citations manifestement erronnées.