Si l'ouvrage dépasse véritablement le cadre d'un simple dictionnaire de langue, c'est bien dans certaines interventions de l'auteur qui lui donnent un aspect revendicatif, allant dans le sens d'une revanche contre l'histoire, menée sur le plan linguistique. Les plus virulentes se retrouvent dans les articles consacrés à ce que l'on appelle des
remprunts, dans ce cas-ci des unités lexicales acadiennes empruntées à l'anglais qui les avait lui-même prises au français. Dans les définitions qu'il leur donne, P. Poirier emploie des mots appartenant au champ sémantique de la réappropriation, et l'on peut citer les exemples suivants: «Nous avons repris aux Anglais ce mot qu'ils ont conservé de l'ancienne langue de nos pères
100», «Nous avons repris aux Anglais ce vieux mot français qu'ils ont jadis dérobé à nos yeux
101», «En leur prenant, à notre tour, nous ne faisons que rentrer dans notre bien patrimonial
102», «En le reprenant d'eux, nous ne faisons que rentrer dans notre bien
103».
En outre, dans de nombreux articles, l'ouvrage se rapproche d'une sorte d'encyclopédie régionale, l'auteur décrivant les us et coutumes de ses compatriotes, leur vie matérielle, s'attardant même aux objets. En somme, par le truchement du lexique, l'auteur aborde de nombreuses facettes de la vie sociale et culturelle des Acadiens, et présente un compendium de leurs traditions populaires. La peinture sociale est conforme aux principes moraux et religieux d'alors, selon l'idéologie nationaliste qui primait. Les seuls écarts d'inconduite que le lexicographe mentionne sont le dévergondage, tant chez l'homme (
courser les filles,
galoper les filles,
courir la galipote,
courailleux,
coureux, etc.) que chez la femme (
forlaquer, avoir les pieds poudreux,
coureuse), et l'ivrognerie (
brosse, buvard, buverie, chaud, chaudasse, être en boisson forte, fêter). Évidemment, une certaine décence, peut-être une auto-censure, l'ont amené à ne pas noter tous les mots et expressions imagées, sans doute fort nombreux, qui désignent les organes génitaux de l'homme et de la femme et les relations sexuelles. Certains articles font place à de longs développements à caractère historique et social:
Acadie,
prée,
jurements, par exemple; d'autres contiennent de précieux renseignements sur le mode de vie des Acadiens au retour de la Déportation:
aboîteau,
arracher,
cocque ou
coque, cotte et mantelet,
soulier. Deux autres témoignent de l'intérêt que P. Poirier portait à la culture traditionnelle des Acadiens: il regrette la disparition des vieilles complaintes
104 et chansons
105. Le mode de vie rural, le vocabulaire de la nature, la pêche, le travail du bois, l'activité religieuse, les traditions populaires, les principaux domaines du lexique s'y retrouvent, et le
Glossaire acadien constitue bien l'expression de la norme socioculturelle au moment même où la Renaissance acadienne va s'achevant. L'intérêt pris par les éditeurs de journaux, par les lecteurs des feuilletons, par les éditeurs des fascicules plus tard et par les lecteurs de ces derniers, s'est étendu au-delà des mots, pour se porter vers la peinture d'une société, d'un modèle culturel.