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son aide, dans l'épellation de certains mots impossibles à rendre, la consonne imprécise h, qu'il substitue, comme dans dhuna, à la voyelle dont il ne peut reproduire le timbre précis.
Dans in eo quid il mi altresi fazet, fazet est plus près du subjonctif acadien qu'il ne l'est du subjonctif français. De fait, c'est la même conjugaison, à dix siècles de distance. Nous disons, avec le fils de Louis-le-Pieux : à condition qu il m'en faise autant, et non pas, avec Rostand : qu'il m'en fasse autant1.
Au cours de la même phrase se trouve le mot altresi, qui pourrait aussi se prêter à un autre rapprochement entre la langue du Serment et celle des Acadiens.
Le passage : in eo quid il mi altresi fazet, a donné de la tablature et aux transcripteurs du texte et aux traducteurs. Le manuscrit de Nithard, conservé à la Bibliothèque Impériale, parmi d'autres documents du Vatican, au lieu de eo quid il mi, donne : moquid il nun altresi fazet2. Cette variante pourrait se traduire en Acadie : pourvu qu'il ne faise pas autre.
Autre
s'emploie adverbialement, en Acadie3. Nous disons : Je ne veux faire autre, pour : je ne peux pas faire autrement. Le suffixe ment, du latin mente, dont beaucoup d'adverbes sont aujourd'hui nantis, n'existait pas encore, en 842.

1. – Ce verbe avait deux formes, autrefois, faire et fésir. Il en était de même de taire et de plaire, qui se dédoublaient en taisir et en plaisir, à l'infinitif, ce qui explique le subjonctif français qu'il se taise, qu'il plaise, ou simplement plaise, au lieu de qu'il se tasse, qu'il plasse, comme dans qu'il fasse. Les conjugaisons populaires se retrouvent presque toutes, aux origines de la langue.
2. – Une autre transcription de ce serment, datant du XIIe siècle, donne : " Si cum um per dreit sun freire salvar dist, en oki il me altresi fazet".
3. – Jusqu'au XVIe siècle, l'adjectif fut beaucoup employé comme adverbe, en France. Il l'est encore souvent, aujourd'hui, même dans la langue académique : parler haut, voir clair, viens vite, fort bien, sentir bon. Quant à autre, synonime de autrement, il n'a pas cessé d'exister, parmi le peuple, depuis les premiers commencements de la langue parlée. On le trouve même, passim, dans la langue écrite : " Ne puet altre estre, pour, ne peut-être autrement, Saint ALEXIS. " Il ne pouvoit estre autre, car il estoit haut à la main et un peu superbe. " BRANTOME, M. de Montféron. On trouve encore dans BRANTOME (Marguerite) " Il serait assez desnaturé de s'oublier tant que de ne tenir autre qu'il doibt. "




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.