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monde. Personne, apparemment, ne l'entend. Ce mot se retrouve intégralement dans le parler des Acadiens : par les petits, avec la signification de graduellement, petit à petit. Nous disons : Allez-y par les petits ; il faut commencer par les petits. Ou encore : J'en prendrai un petit, pour un peu ; donnez-moi un petit de beurre. Dans les premiers cas, petit, avec par pour préfixe, s'emploie toujours au pluriel.
Or, perpetita est formé de petit, précédé du préfixe latin per et terminé par la flexion latine a, qui est celle des substantifs et des abjectifs neutres, au pluriel : per-petit-a, pour les latins et les latinisants du IXe siècle ; par les petits, pour le peuple de France, où les Acadiens ont pris cette locution. Per est devenu par, et a, signe du pluriel neutre latin, a été remplacé par s, signe du pluriel des mots français : par petits, l'article n'était pas encore en usage, à cette époque-là, devant un substantif indéterminé.
Les Romains habillaient à la mode de leur langue les mots qu'ils prenaient aux autres nations, à peu près comme nous le faisons de ceux que nous empruntons aux Anglais. Celui-ci, petit, est, comme on dirait à Paris, sandwiché entre le préfixe par et le suffixe a1.
La langue française, au IXe siècle, n'en est encore, comme nous le voyons, qu'à sa période de transformation. C'est de l'incohérence qui s'organise. La semence latine est en pourriture dans le sol fécondant du celtique ; l'épi qui portera le froment nouveau n'est pas encore mûri. La tige laisse à peine entrevoir l'abondance de la future moisson.
Une autre pièce, très précieuse, la Cantilène de sainte Eulalie

indigène est interprété par un mot latin, et où, par conséquent, le sens précis de perpetita doit être donné.
1. – La locution par les petits doit s'être conservée quelque part, en France, quoique je ne l'aie retrouvée nulle part, dans les écritures. Montaigne a : " par les menus ", qui s'en rapproche. Par contre, un petit, pour un peu, se rencontre dans presque tous les auteurs du XVIe siècle et antérieurement. Au XVIIe : " Je commence à mon tour, à le croire un petit, MOLIÈRE, (Amphytrion) ; au XIXe : " Elle entrebailla la porte un petit " Georges SAND, (François le Champi).




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.