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DEUXIÈME PÉRIODE DE LA LANGUE


CHAPITRE V

Du XIIe au XVIIe siècle


Reprenons le tableau du mouvement de la langue.
Avec Villehardoin, qui vivait au commencement du XIIIe siècle, nous passons de la poésie des trouvères à la prose des chroniqueurs et des historiens.
Villehardoin, comme la plupart des gentilshommes de son temps, ne savait apparemment pas lire. Il dicte à son secrétaire, avec une précision et une élégance qu'on ne connaissait pas au dialecte parisien, l'Histoire de la Conquête de Constantinople. Ecoutons-le : " Bien semblait chose périlleuse, que les croisés n'avaient que six batailles (corps de troupes) et les Grieux (Grecs) en avaient bien soixante, et toutes plus grandes que celles des Latins. Et tant chevaucha l'empereor (l'empereur) Alexis, tant s'approche, qu'on se tiroit des flèches d'une armée à l'autre. Et quant ouit (entendit) cela le doge de Venise, il quitta les tours de Constantinople dont il était déjà maître, et dit qu'il voulait vivre ou mourir avec les pélerins..."
En même temps que la prose, la poésie s'affine, au moins dans la facture du vers.
Dans ses Lais et ses Fables, la gracieuse Marie-de-France (milieu du XIIIe siècle) fait pressentir le " bonhomme " La Fontaine :
Tant de loin que de prez n'est laide
La mors. La clamoit (l'appelait) à son ayde
Tos jors uns povre bosquillon
Que n'ot (qui n'a) chevance ne sillon
Que ne viens, disoit (disait-il) ô ma mie,
Finir ma doloreuse vie ?
Tant brama (cria) qu'advint : et de voix
Terrible : Que veux-tu ? - Ce bois
Que m'aidiez à carguer (charger)1, Madame,
Peur et labeur n'ont mesme game.


1. – Se carguer signifie, en Acadie, se dresser droit, jusqu'à passer l'aplomb. Carguer et charger, ont la même étymologie. Le mot se trouve dans les Gloses de Reichenau, VIIIe siècle.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.