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Le picard est du roman altéré au contact des langues scandinaves et franques ; le normand, du roman strié, si l'on peut dire, par le frottement violent des verbes charriés, durant plusieurs siècles, de Rouen à Paris, par les pirates du Nord, les North-men1.
Le parler du paysan normand est clair de sa nature, mais plutôt traînard, monotone, incolore, dans sa prononciation. Il lui manque la chute harmonieuse des finales parisiennes ; il n'a pas, non plus, les inflexions musicales du français de la Loire.
Un des traits caractéristiques de la langue des "rois de la mer " est l'emploi fréquent de ei, é, pour oi. Cette manière, pour être déplaisante à l'oreille, parce qu'elle lui est devenue étrangère, est pourtant, plus que la forme conservée par le français de Paris et celui de l'Acadie, voisine du radical latin. Crère, deveir, lei, rei, mei, (moé à Québec), téi, (toé à Montréal), sont plus rapprochés que croire, devoir, loi, roi, moi, toi, de credere, debere, legem, regem, me, te, se, dont ils dérivent. Le français officiel a pris le mot roi du bourguignon-acadien et reine du normand canadien. Les adjectifs royal et régale (en latin régalis) donnent les deux formes2.

normand, parfois, pour retrouver la prononciation de certains mots français des XIe et XIIe siècles.
D'après plusieurs auteurs, le français d'aujourd'hui ne reproduirait plus certains sons du XIe siècle.
" In England, at the Norman conquest, j (written i) ch, g, qu, were not pronounced as in cheval, juge, rouge, quinze, but as they are now in English, as in the words, jolly, judge, juror, change, charge, check, gentle, gist, wage, quit, conquest. " CHAMPNEYS, p. 129.
1. – Par la formation de plusieurs diphtongues et la conservation de certaines voyelles radicales, par la conjugaison d'un petit nombre de verbes, par la prononciation de certains mots, le picard et le normand sont souvent plus près de la langue d'oc que ne l'est le " français de Paris. "
2. – Montréal pour Mont-Royal, en offre un autre exemple. Nous avons Montréal, au Canada; il y a plusieurs Montréal en France ; il y en eut dès les origines du royaume.
" Ge Anseric sires de Montréal, fais savoir à tous ceux qui verront ces lettres que je ay vendu Hugon de Bourgogne mon chastel de Montréal, sans nul si " (sans condition). " DU CANGE.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.