CHAPITRE IX
Conjugaisons
J'sus, ou je sus1, t'es, il est, j'sons, ou je sons, vous êtes, is sont.
J'ai, t'as, il a, j'ons et j'avons, vous avez, is ont et is avont.
Telle est, au présent de l'indicatif, la forme régulière de la conjugaison des verbes être et avoir dans le parler acadien.
J'avons est psychologique. Le paysan prodigue le moi ; l'élément subjectif règne au village plus violemment encore qu'à la ville, où il prend mille déguisements hypocrites. Le citadin dit lui et moi ; le paysan, moi et lui. S'il est seul à vouloir, ce sera je veux,; s'ils sont deux ou plusieurs, je voulons. Moi, d'abord, le moi " haïssable " de Pascal ; jamais nous : je voulons, je parlons, je sons ; c'est le moi collectif, si l'on peut dire 2. Ce je pluriel révèle un état d'âme particulier ; certains mots, certaines formes de langage sortent spontanément de l'âme populaire et la peignent d'un seul trait.
Cette manière de conjuguer n'est pas particulière aux Acadiens. Elle est encore aujourd'hui en usage dans plusieurs Départements de France ; on l'entend dans la banlieue même de Paris, et il s'en est manqué de peu qu'elle ne devînt celle de la langue littéraire. En tous cas, elle fut longtemps la bonne, dans l'Île-de-France, à la cour même, où les beaux esprits " les honnêtes gens," n'en connaissaient pas d'autres 3. Henri IV chantait:
1. – Dans je sus, pour je suis, de ego sum, le u ne s'est pas encore fait suivre d'un i, comme dans le français moderne, plus éloigné du latin.
2. – Le je se serait même substitué à la troisième personne au moyen-âge. En tous cas, on trouve dans le Roman du Rou, v. 1408 :
" Je n'en ara, dit-il, ne plain pas, ne plain pié. "
Il n'en aura, dit-il, ni un pas entier, ni un plain pied.
3. – " Le son j'avons était très commun dans 1'Ile-de-France, au XIIIe et au XIVe siècles. " NISARD.
" Le système des conjugaisons françaises, reproduction imparfaite du système latin, s'est formé à travers bien des hésitations dont il est curieux et intéressant de suivre la trace à travers tous les tâtonnements de la langue française au moyen-âge. " AMPÈRE, Formation de la langue française, p.159.
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