page



– 79 –


lui sont réfractaires, et que notre alphabet est inhabile à reproduire.
Nous avons conservé, en Acadie, de l'ancien français, certaines inversions et certaines combinaisons qui ne sont plus admises dans la grammaire académique. Par exemple, la préposition à joue chez nous le rôle qu'elle jouait dans la vieille langue, depuis le Serment de 842 jusqu'à Molière1. Nous l'employons là où la grammaire veut un de. Nous disons la fille, le cheval à Jacques Hublot, tandis qu'un académicien dirait, de Jacques Hublot. Cet à donne au cas régime l'apparence du datif latin, tandis qu'il n'est que la traduction du génitif.
Mais ce génitif latin à flexion, aussi bien que la préposition à qui le traduit en franco-acadien, ou de, en français académique, ne représente-t-il pas, plutôt, un possessif ? Quand nous disons la fille à Jacques Hublot, nous sous-entendons qui appartient à Jacques Hublot et non pas qui a été engendrée par lui. A plus forte raison quand il s'agit de son cheval. Le génitif des latins sous entendait, comme les deux prépositions qui le traduisent dans notre langue, l'idée de possession plus souvent que de génération. Sous la loi romaine et aussi chez les Gaulois, l'enfant était la propriété du père, un peu comme son cheval, ou tout autre objet quelconque lui appartenant2. Quand les Romains voulaient exprimer l'idée de génération ou de procession, ils se servaient de la préposition à, ex, de, et mettaient le cas

1. – Le " Pro Deo amur ", pour l'amour à Dieu, du Serment de 842, nous en donne le premier exemple ; le Cantique de saint Alexis, presque de la même époque, le deuxième : " Fille ad un conte ". Les cas sont innombrables que l'on pourrait citer, en remontant le cours des siècles, du génitif latin rendu par la préposition à et non par de : " Viendrent li messaigne au (pour du) Vieil de la Montaingne, " JOINVILLE, (XIIIe et XIVe siècles); " Edouard fut père au gentil roi Edouard", FROISSARD, fin du XIVe siècle ; " La fille au Roy vint à moi. " Théâtre du Moyen âge ; " Et la fille à Gethon son chemin commençant, " DESPORTES, XVIe siècle ; " La fille à Seianus ne pouvoit êstre punie de mort à Rome, " MONTAIGNE, XVIe siècle.
2. – Les noms de famille n'ont paru en France, que vers le milieu du XIIe siècle. On disait auparavant : Pierre Simon, pour Pierre à Simon comme en latin.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.