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Nos Iles-Madeleine, aussi appelées Iles-à-Madeleine, sont devenues, dans la géographie canadienne, les îles-de-la-Madeleine. L'article la, devant un nom de femme, sonne mal en Acadie, aussi bien qu'à Paris. La Madeleine se dirait d'une femme "de pas grand chose ". Or, Madeleine Doublet, veuve de François Doublet, qui a donné son nom aux îles du golfe Saint-Laurent, a toujours joui de la plus irréprochable réputation, de son vivant.
Le français qui a conservé, sans flexion, le génitif de la déclinaison latine dans : la Fête-Dieu, la Côte-Nord, l'île Saint-Jean, les Iles-Baléares, le fleuve Saint-Laurent, pour la fête de Dieu, la côte du Nord, le fleuve de Saint-Laurent, n'a plus de substantif au cas oblique du datif qui ne soit marqué par la préposition à1. Dans il me parle pour il parle à moi, rends-moi mon fusil, pour rends à moi mon fusil, le terme régi est un pronom, moi. L'ancien français l'avait ce datif dissimulé : "ne placet Deu, ne se seinz, ne ses angles ", trouve-t-on dans la Chanson de Roland, pour : ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses anges.
Je trouve en Acadie quelques exemples de ce datif simulé la Pointe-Sapin, un pot-ordure, de l'herbe-outarde (varech), un faulx-manche. Mais ce sont, ici, des exceptions, des vestiges très rares de l'ancien parler. Il peut arriver même que ce soient de simples élisions, excepté pour Pointe-Sapin2. Notre syntaxe acadienne, aussi bien que celle des Canadiens, est la syntaxe française du XVIe siècle et du commencement du XVIIe, ce qui fait que notre parler est un dialecte, mais en aucune façon un patois.






1. – Autrui est un véritable datif.
2. – Nom de localité, au Nouveau-Brunswick.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.