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cercueil, chercher1, crémaillère2, cervelle, herse, serment, cercle, etc. L'e a prévalu, dans la langue officielle ; mais l'e est, le plus souvent, demeuré dans le langage dialectal du peuple français3.
Dans ces mots, a vient du centre de la France ; e, est plutôt normand ou picard.
Si nous suivons la lutte entre l'a et l'e, nous la voyons franchir les murs de l'école, aux XVIe et XVIIe siècles, agiter la Pléiade, passionner les beaux esprits et diviser les " honnêtes gens " en deux camps ennemis. Vaugelas croise la plume avec la Grande Arthénice, qui, à l'occasion de plusieurs a, lui fait mordre la pousière ; l'Hotel de Rambouillet collette avec les courtisans et les belles marquises. Même
... La garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend pas nos rois,
si nous en croyons Jean Herod, médecin du jeune Louis XIII, qui prétend que son royal client disait, comme dirait, aujourd'hui, un paysan de l'île du Prince-Edouard : " C'était là où ces méchants cadets me dérobarent des noi-settes " ; ou encore : " Elle sarre tout ce qu'on me donne. "
Les compagnons de jeux du dauphin, ses courtisans, ses courtisanes4 et tout le haut de l'échelle blasonnée d'armoiries, prononçaient, à n'en pas douter, à la manière royale, conservée aujourd'hui à l'île du Prince-Edouard et aux Îles-Madeleines.
C'était, apparemment, au XVIe siècle, la manière à peu près universelle de prononcer ces mots, non-seulement à Paris, non seulement à la cour, mais chez les paysans de l'Ile-de-France,

1. – Sarcueil est conforme au radical sarc, qui nous vient de la Germanie et qui est de l'ancien français : " Si ordonnèrent adonc sarcueil assez honorable... " FROISSARD. Les exemples abondent.
2. – Crammale, crammalie. (Du Cange) On trouve ailleurs : cramas, cramal, cramail, cramaillère, toujours avec un a. Nous disons cramaillère, en Acadie.
3. – Je trouve dans G. Nigond, auteur contemporain : " Qui m'a bien sarvi " ; les mains garciés ; " la mort va v'ni m'farmer le bec ; " " J'voudrais sevrer mon p'tit darnier ; " " Çarvelle " " vartu ", Sarvant, sarpent ", etc.
4. – Il était, dit-on, mysogine.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.