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que nous disons terrière1. Nous disons aussi, comme l'on dit en Suisse et en Picardie, errière pour arrière : regarder en errière.
Jusqu'au temps où l'Acadie fut fondée, et même plus tard, la confusion entre a et e continua d'exister, en France, dans un nombre considérable de mots. De l'un de ces mots en litige, l'Académie a fait fermier et ferme, tandis que nous en avons fait
farme et farmier.

E – Ai

La voyelle e, é, è, ê, dans la plupart des cas, se prononce, en Acadie, comme à Paris ; mais elle ne garde pas toujours le même accent, soit grave, soit aigu, dans le même mot. Ainsi père, mère, frère, et tous les mots où l'e provient de l'a latin, se prononcent père, mère, frère, en Acadie, et doivent s'écrire avec un accent aigu. Telle était aussi la prononciation française de ces mots au XVIe et XVIIe2 siècles,. Ce sont les grammairiens, aidés ici des poètes en mal de rimes, qui ont bouleversé la langue3.
En France, aujourd'hui, et depuis le XVIIIe siècle, mère et mer, père et fer, frère et vert, ménagère et amer, ont à peu près le même son ouvert, et, sans l'e muet des premiers, rimeraient ensemble.
Mer, fer, vert, enfer, souffert, cher, riment en Acadie, les uns avec les autres, et aussi avec les substantifs, verbes et adjectifs en air ou aire, mais non pas avec les substantifs en ère comme père, frère, ni non plus avec cuillère, ni avec le féminin des substantifs en er, comme meunière.
Père, s'écrit avec un accent aigu, et ne trouve que mère,

1. – Ce mot est masculin, en Acadie, un terrière, pendant qu'il est féminin, à l'Académie. Cette anomalie ne s'explique guère, à moins que la terrière française ne vienne du bas-latin terebra, et le terrière acadien du latin taratrum. Les finales latines en um donnent presque toutes un masculin, en français, et celles en a, un féminin.
2. – " Les mots en ère, comme père, mère, frère, avaient un é fermé aux XVIe et XVIIe siècles. Th ROSSET, Les origines de la prononciation moderne. Oudin et d'autres autorités contemporaines en font également foi.
3. – " La plupart des occasions des troubles du monde sont grammairiens. " MONTAIGNE.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.