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Mais à la Nouvelle-Ecosse, nos gens disent évéque, poélle1, mésse, avec un e presque fermé, comme il l'était en France au XIIe siècle. Ce n'est pas tout à fait évéque, poélle, ni, non plus, évêque, poêle, c'est quelque chose d'intermédiaire. Les Acadien du Nouveau-Brunswick prononcent ces mot à la manière française d'aujourd'hui.
Il semble qu'on peut saisir le passage chromatique du timbre é en è, dans les mots, les, des, près, procès, c'est, etc., qui tiennent, en Acadie, le milieu entre le son qu'on entend à Versailles et celui que l'on entend à Québec.
Dans certains mots, l'è ouvert se permute en eu, comme dans fève, achève, que nous disons feuve, acheuve, ou plutôt, ajeuve.
Cet eu substitué à e, est-il une autre forme de transition ? Le français officiel l'a mis dans plusieurs mots : abreuver, breuvage, par exemple, formés du latin ad bibere2.
A Paris, le e du pronom le se prononce eu : prenez-leu ; tandis que ce même e s'ouvre en ès, en Acadie, le singulier se distinguant à peine, du pluriel : prenez-lès.
Dans toutes les langues vivantes, l'articulation des sons, la prononciation des mots, le timbre, évoluent lentement, lorsque l'idiome est laissé à lui-même et reste soumis aux seules influences ambiantes ; brusquement, lorsqu'il reçoit le choc d'une invasion violente. Quand une langue cesse d'évoluer, qu'elle s'immobilise tout à fait, elle est morte. Le papyrus sacré, les tablettes enduites de cire, le parchemin, le livre imprimé, ne lui rendent pas le souffle vital qui s'est éteint en elle ; ils gardent, et c'est tout, sa vivante empreinte, à peu près comme la pierre fossile garde l'empreinte d'une plante, ou d'un animal disparu. Aucun effort humain ne peut la ravigoter3.

1. – " L'é fermé, entravé, sorti de l'e (e, e, oe,) entravé latin, devient è ouvert, dans le commencement du XIIe siècle : mésse, mét (mittet) séc, deviennent mèsse, mèt, sèc, sèche, evèsque. " DORMESTETER, Grammaire, vol. 1. p. 127.
2. – Marot, XVIe siècle, écrivait, :
" Puis en passant au milieu de la plaine,
De grans vuisseaux de sang s'ébrevera. "
3. – Ravigoter, raviver, ramener la vie, le souffle vital, dans le got, c'est-à-dire dans le gosier. Voir page 378.




Source : POIRIER, Pascal. Le parler franco-acadien et ses origines, s.n., s.l., 338 p.