E muet
A l'époque où la langue fut fixée officiellement par l'Académie française, l'
e muet tendait à s'éliminer. On ne l'entendait presque plus à la fin des mots ; et, dans le corps du mot même, de bref qu'il avait été, il s'était amui au point de disparaître presque en bien des cas, sauf pour les yeux.
Dauzat,
Philosophie du Langage, nous dit : " qu'au moyen-âge, quand l'orthographe correspondait à la prononciation, on faisait entendre les consonnes finales et les
e muets. "
Chez les lettrés, peut-être, aussi dénommés pédants ; mais il n'est pas bien prouvé qu'à aucune époque de la langue, l'orthographe savante ait correspondu beaucoup plus fidèlement qu'elle le fait aujourd'hui, à la prononciation populaire, laquelle était, si elle ne l'est encore, celle qui représentait le plus fidèlement le verbe français.
Dans un certain nombre de mots, il avait même disparu tout à fait, comme dans
charretier, par exemple, que La Fontaine écrit quelque part
chartier. Marot écrit
seurté, Scaliger,
légerté, Ronsart,
souvrain, Baïf,
devloppe. Je pourrais multiplier les exemples.
Ce fut Malherbe qui, plus que tout autre, sauva l'
e muet, pour le malheur de la versification française, à laquelle il enlève la concision et impose la cheville. La métrique française persista, à cause de lui, à donner à l'
e muet la pleine valeur d'un pied, même lorsqu'il ne rendait plus qu'un demi-son à l'oreille, même lorsqu'il n'était pas prononcé ; et il fut défendu de le remplacer par une apostrophe. Depuis Malherbe, on scandé pour les yeux, autant que pour l'oreille ; et les vers de huit, dix douze pieds, sont devenus souvent des lits de Procuste, où l'on tire sur les
e muets pour trouver la mesure. Les étrangers ne comprennent rien à la prosodie française, et nos poêtes ne sont guère traduits. La poésie française n'est plus populaire, comme elle l'était au moyen-âge.
L'
e muet se fait rarement entendre, en Acadie, dans le corps et à la fin des verbes ; nous disons
je f'rai pour je
ferai, il
donn'rait pour il
donnerait, r'prendre pour
reprendre, m'ner pour mener,